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ANALYSES.max müller. Science de la pensée.

et le concept, puisque le même nom aura servi à traduire des concepts plus ou moins différents. Il n’y a donc pas de rapport nécessaire entre le langage qui n’est que l’ensemble des noms et la pensée qui n’est ici que l’ensemble aussi des pensées ; cela concorde d’ailleurs avec le calcul fait par M. Müller des racines et des concepts fondamentaux de nos langues indo-européennes. D’après ce calcul, le nombre des racines serait d’environ 800, c’est-à-dire près de 7 fois plus grand que celui des concepts qui n’est que de 121 ; il faut ajouter que, dans ce dernier cas, ce ne seraient plus deux ou trois concepts différents qui auraient un même nom, mais un seul concept qui aurait plusieurs noms différents. 2o Qu’est-ce que veut dire « utiliser nos connaissances » ? De ce qu’une connaissance ne serait pas utilisée, l’en aurions-nous moins pour cela ? 3o Si chaque addition à notre expérience change l’intension et l’extension de nos noms, chaque modification de nos noms change-t-elle les concepts correspondants ? Lorsqu’on prononce Péris au lieu de Paris, se fait-on pour cela un concept différent de Paris ? M. Müller admet lui-même l’action inconsciente des lois phonétiques : par exemple, il admettrait que la disparition régulière de l’s latin dans certains mots français ( honnête, de honestus, etc.) s’est faite inconsciemment : donc les mots se sont modifiés ici sans que les concepts correspondants éprouvassent de changements. Il paraît donc difficile d’admettre cette théorie de la liaison nécessaire du langage et de la pensée ou du concept, et M. Müller en aurait vu lui-même probablement tout le faible, si au lieu des mots vagues langage et pensée, il eût considéré tel mot déterminé et telle pensée particulière. Et puis les preuves, même expérimentales, qu’il apporte, sont trop faciles à réfuter ; par exemple, il demande d’essayer de penser le Cogito ergo sum sans les mots eux-mêmes par lesquels on le traduit. La réponse est facile : Combien y a-t-il de gens qui savent ce que veulent dire ces mots : Cogito ergo sum, Je pense, donc je suis, etc., qui, par conséquent, puissent, à l’occasion de cette formule, penser autre chose que les mots eux-mêmes ? M. Müller invite encore à faire une expérience plus simple, à essayer, par exemple, de penser à un chien sans prononcer mentalement le mot chien. Peut-être l’expérience ici le contredirait-elle, à la condition qu’elle fût faite dans des conditions favorables, c’est-à-dire point à l’occasion d’une discussion sur l’impossibilité de penser un objet sans le nommer mentalement ; dans ce dernier cas, en effet, il est clair que la préoccupation de la question elle-même suffirait à faire tout de suite penser au nom, peut-être même avant qu’on eût songé au chien.

Le ch.  II est intitulé : Pensée et langage. La pensée, d’après le chapitre précédent, trouve sa consommation dans le langage ; c’est donc dans l’histoire du langage qu’il conviendra, selon l’auteur, d’étudier la genèse de l’esprit humain.

Incidemment M. Müller essaye d’établir que les mots sont signes de concepts, non de choses ; le nom exprime « non ce que nous appelons