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ANALYSES.max müller. Science de la pensée.

gage naturel, identique ou à peu près chez des peuples très différents. Plus haut, M. M. déclarait que les linguistes ont raison de s’en tenir aux racines. C’est ce qu’il a fait lui-même dans ses ouvrages de linguistique. Mais celui qui s’occupe, dit-il ensuite, de la science de la pensée et non plus spécialement de la science du langage, a le droit de pousser plus loin et de se poser la question de l’origine des racines elles-mêmes : c’est là d’ailleurs la vraie question de l’origine du langage. Avant d’y arriver, M. M. répond à une objection intéressante, savoir que la phrase, et non le mot ou la racine, est le véritable élément du langage : l’objection est juste, dit-il, mais ne contredit pas sa propre théorie : car tout mot a constitué originellement à lui seul une phrase complète par exemple l’expression d’une simple racine pouvait signifier Travaillez ! « Luc-s était primitivement une phrase complète et signifiait brillant-ici, etc. » (p. 247).

Le ch.  VI traite de l’Origine des concepts et des racines. On sait que M. M. reconnaît deux espèces de racines, les racines prédicatives et les racines démonstratives, les premières définies en son et expressives de concepts généraux, les secondes également définies en son, mais sans signification conceptuelle. Ces dernières « désignent simplement la situation d’un objet dans l’espace et le temps et expriment ce que nous exprimons aujourd’hui par ici, là, alors, ceci, cela, près, loin, en haut, en bas, etc. Dans leur forme et intention primitives, elles s’adressent aux sens plutôt qu’à l’intellect. Elles sont sensationnelles, non conceptuelles » (p. 220). M. M., dans sa recherche de l’origine des racines, laisse ces éléments démonstratifs inexpliqués ; il se contente d’indiquer qu’ils sont peut-être les « restes d’un langage de gestes primitif dans lequel les objets étaient simplement montrés, mais non conçus ou décrits » (p. 256).

La question reste celle-ci : « Comment naissent les concepts, ces concepts qui sont exprimés par nos racines prédicatives ? » M. M. commence par quelques remarques historiques, fait l’éloge de Berkeley, lequel a montré que « les idées que nous appelons idées générales abstraites ne sont rien que des idées particulières auxquelles un certain terme a été attaché qui leur donne une signification plus extensive et leur fait rappeler à l’occasion d’autres individus qui leur ressemblent ». Par là, selon M. M., Berkeley a le mérite d’avoir aperçu l’importance du langage pour la formation des idées générales ou concepts (p. 259 et suiv.). Donc M. M. n’admet pas non plus qu’il puisse exister une idée générale ou concept d’homme, par exemple, dans lequel il serait fait abstraction de toute stature, couleur de la peau, etc., particulières. Il ajoute que, s’il est quelque chose qu’ait prouvé la linguistique, c’est que « tout terme appliqué à une idée ou un objet particuliers, à moins qu’il ne soit un nom propre, est déjà un terme général ». Serpent signifiait originel, selon M. M. tout ce qui peut ramper, fruit tout ce qui peut être mangé (p. 270)[1]. Ceci posé, comment dès l’origine a-t-il pu

  1. Voici, brièvement, l’objection qu’on peut faire à cette doctrine. Un terme,