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exister des termes aptes naturellement à évoquer l’idée de divers individus plus ou moins ressemblants ? À cette question qui est en même temps celle de l’origine des racines et des concepts, M. M. répond en adoptant la théorie de Noire. Quand nos sens sont excités ou quand nos muscles agissent, nous éprouvons une sorte de soulagement à émettre des sons. « Quand des gens travaillent ensemble, quand les paysans creusent ou battent le grain, quand les matelots rament, quand les femmes filent, quand les soldats marchent, ils ont une tendance à accompagner leurs occupations d’émissions de sons plus ou moins rythmiques. Ces sons, bruits, cris, fredonnements ou chants, sont une sorte de réaction naturelle contre le trouble intérieur causé par l’effort musculaire. Ils sont des vibrations presque involontaires de la voix, correspondant aux mouvements plus ou moins réguliers de toute notre charpente corporelle » (p. 300).

Ces sons ont maintenant deux grands avantages.

« 1o Ils sont les signes d’actes répétés, d’actes accomplis par nous-mêmes, conséquemment perçus et connus par nous-mêmes et persistant dans notre mémoire comme signes de ces actes ; mais qu’est le signe d’un acte répété, sinon la vraie réalisation de ce que nous appelons une racine donnant un corps à un concept, unifiant une multiplicité d’actes… ?

« 2o Ces sons, étant émis dès le commencement, non par un individu isolé seulement, mais par des hommes associés pour un travail commun et unis par un commun dessein, possèdent le grand avantage d’être compris par tous » (p. 301).

M. M. voit une confirmation de cette théorie dans ce fait que les racines primitives de la famille linguistique indo-européenne a exprimaient, pour la plupart, des actes, non des états…, comme creuser, couper, frotter… » (p. 301). Cette théorie fournit en outre une réponse nouvelle et inattendue à la vieille question : Pourquoi les animaux ne parlent-ils pas ? « Personne ne voudrait attribuer aux animaux des actions créatives, des actions accomplies avec dessein, et, devons-nous ajouter, avec libre choix, et c’est pourquoi les animaux ne peuvent avoir de signes accompagnant puis signifiant de telles actions » (p. 302).

M. M. explique ensuite comment les mêmes racines qui exprimaient primitivement des actes ont pu arriver plus tard à signifier des états, comment, par exemple, on a pu nommer les couleurs, les sons, etc.

    en tant que jouant un rôle psychologique, est lui-même une idée, rien qu’une idée, et soumis conséquemment à toutes les lois qui régissent les idées. S’il n’y a pas d’idées générales, il n’y a pas de termes généraux ; ou, inversement, s’il y a des termes généraux, il y a des idées générales ; dès lors la généralité des idées ne doit pas avoir besoin du langage pour pouvoir se produire. Cette généralité est, en effet, un phénomène central, subjectif, une des manifestations, comme on peut dire, de l’activité de l’esprit. Tout individu chez qui cette activité a atteint un certain développement, aura des idées générales nettes, quand même il ne parlerait pas.