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E. BEAUSSIRE.questions de droit des gens

de connaître les limites précises de la souveraineté d’un État. On rencontre sans cesse des tribus d’apparence indépendante, sur lesquelles les chefs d’une autre tribu ou d’un État plus ou moins puissant prétendent avoir des droits, qu’ils sont souvent incapables d’exercer. Dans les relations que les circonstances ou un intérêt quelconque amènent avec ces tribus ou avec leurs chefs réels ou présumés, on ne sait presque jamais, d’une façon certaine, sur quelles bases on peut s’engager ou les engager et sur quelles responsabilités il est permis de compter.

Il y a lieu d’observer des règles de prudence et des règles d’honnêteté. Les premières sont analogues à celles qui s’imposent dans un pays où sévit la guerre civile. Toutes les fois qu’il s’agit d’un territoire où l’on ne rencontre qu’une autorité contestée ou impuissante, il ne faut prendre que les engagements qui sont rendus nécessaires par les circonstances ou par un intérêt pressant.

Les règles d’honnêteté sont des règles de bonne foi ou des règles de justice. Qu’il s’agisse de sauvages, de barbares ou de civilisés, il n’est jamais permis de tromper, de tourner à son profit l’ambiguïté des termes, d’abuser de l’ignorance de ceux avec qui on traite. Une absolue sincérité est d’autant plus obligatoire qu’on est en présence de natures plus simples et plus faciles à égarer. Enfin la défiance la mieux fondée à l’égard de la bonne foi des autres n’autorise pas la mauvaise foi. Il ne faut pas ruser, même avec les trompeurs, ou si la ruse est parfois permise, ce ne peut être que dans un cas de légitime défense ou pour empêcher une iniquité. Il n’est pas contraire au droit de tromper pour tirer un malheureux ou pour se tirer soi-même de péril ; mais le droit, comme la morale, réprouve tout mensonge en vue d’acquérir un avantage quelconque.

Voilà pour la bonne foi, voici maintenant pour la justice. Tous les engagements que prennent entre eux les peuples civilisés sont loin, en fait, de se renfermer dans les obligations d’une exacte et scrupuleuse justice ; mais ils ne s’en écartent que dans la mesure où l’injustice elle-même garde l’apparence de la justice, d’après les usages et les maximes de leur civilisation commune. Avec les sauvages et les barbares, l’injustice ne rencontre pas les mêmes barrières. Tout principe de morale n’est pas sans doute absent, mais il n’y a souvent, pour tout ce que nous appelons des droits, aucune idée commune avec les nôtres. Les chefs se considèrent comme les maîtres absolus de la vie, de la liberté, des biens de leurs sujets. Ils ne se feront aucun scrupule, pour le moindre avantage, d’en disposer au profit de trafiquants ou d’agents étrangers. De là, ces ventes d’esclaves que réprouve aujourd’hui la conscience de tous les peuples