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civilisés, mais qu’ils sont loin cependant d’avoir partout abolies et qu’ils couvrent encore parfois d’une sorte de protection. De là aussi ces cessions de territoires, pour lesquelles nous n’avons pas les mêmes répugnances, et qui n’ont même jamais été plus recherchées que de nos jours, mais qui ne sont pas en elles-mêmes plus légitimes. Il faut considérer, dans tous ces actes, les droits de l’humanité qui ne cessent jamais d’être respectables, même dans ses membres les plus infimes. Il n’est permis d’acheter des esclaves que pour leur rendre la liberté. Il n’est permis d’acquérir un territoire que pour en placer les habitants dans une condition, je ne dis pas seulement plus heureuse, mais plus libre. Les divers territoires dont se compose un État barbare ne constituent pas une patrie. Ils sont simplement juxtaposés sous une autorité commune, qui souvent n’est que nominale. Ils peuvent donc changer de condition, sans que le droit des habitants en reçoive une atteinte ; mais il faut, du moins, que le changement n’ait pas pour effet de les sacrifier, dans leurs usages, dans leurs mœurs, dans leurs moyens de subsistance, aux intérêts de leurs nouveaux maîtres. L’acquisition d’un territoire, sous quelque forme qu’elle se soit produite, ne cesse d’être une injustice que si elle est pure de toute oppression.

V

Dans les pays mêmes qui ont une civilisation commune, les conditions des États sont très différentes. Elles varient de la monarchie absolue à la république démocratique et fédérative. Quelques publicistes croient que le droit des gens trouverait une base assurée dans les institutions politiques, si elles s’inspiraient partout de principes libéraux, et ils ne reconnaissent une application efficace de ces principes que dans le régime représentatif et dans une large décentralisation administrative. Ils voudraient que chaque État ne fût qu’une libre fédération de provinces également libres, pour que le monde civilisé lui-même, par un dernier progrès, pût devenir à son tour une libre fédération de libres États[1]. D’autres pensent, au contraire, que les relations internationales ne peuvent avoir qu’un caractère précaire, tant qu’elles sont forcées de compter avec la fluctuation des opinions dans une république ou dans une monarchie représentative. Nous ne voulons discuter ni ces doctrines opposées, ni les systèmes intermédiaires qui peuvent se placer entre elles. La conformité des institutions dans tous les États, sous une forme libérale, et l’éta-

  1. Telle est la théorie d’Ahrens, dans son excellent Cours de droit naturel, 6e édition, tome II. pages 506-509.