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E. BEAUSSIRE.questions de droit des gens

blissement entre eux d’un lien fédératif nous paraissent un idéal très désirable ; mais le droit des gens mais le droit des gens n’a pas besoin, pour être reconnu et pratiqué, dans tous ses principes nécessaires, de la réalisation d’un tel idéal. Il ne demande à tous les États, quelles que soient leurs institutions, que de se traiter comme des personnes et d’avoir les uns pour les autres, dans leurs relations de tout ordre, le même respect que les personnes se doivent entre elles dans la vie privée.

VI

On se sert indifféremment, dans la plupart des cas, pour désigner les sociétés politiques, des mots d’États, de pays, de peuples, de nations. Ces mots sont loin d’être synonymes. Celui d’État exprime seul, dans ses conditions essentielles, la société politique ; celui de pays implique un point de vue géographique ; celui de peuple, un point de vue historique ; celui de nation, un point de vue politique ou moral. Un même État peut comprendre plusieurs pays, plusieurs peuples, plusieurs nations. Dans l’empire Ottoman, la Turquie d’Europe et la Turquie d’Asie et, dans cette dernière, l’Arménie, l’Anatolie, la Syrie, l’Arabie, sont des pays différents ; les Turcs, les Albanais, les Arabes sont des peuples ; les Grecs et les Arméniens sont à la fois des peuples et des nations. L’unité ou la multiplicité des pays ou des peuples, dans un même État, a pu soulever dans tous les temps des questions historiques ou politiques d’un intérêt plus ou moins grand, mais il ne s’y attache aucune difficulté de droit public ou de droit des gens. La distinction de la nation et de l’État a suscité au contraire, de nos jours, les plus graves et les plus délicates questions de droit.

Les caractères constitutifs d’une nation ont été discutés dans un grand nombre d’écrits. Nous renvoyons particulièrement à deux belles conférences de M. Renan et de M. Franck[1]. Tout ce qui fait l’âme et la vie d’une nation y est admirablement étudié. Nous nous bornerons à ce qui peut, dans l’existence d’une nation, intéresser le droit. Au point de vue du droit, une nation est une collection d’hommes qui possède ou qui aspire à posséder les caractères d’une société politique. Quand elle possède ces caractères, elle se confond avec l’État ; quand elle aspire à les posséder, elle est, sous une forme ou sous une autre, en lutte avec lui. En France, la nation et l’État ne

  1. On trouvera la conférence de M. Renan : Qu’est-ce qu’une nation ? dans ses Discours et conférences. Celle de M. Franck a été publiée dans le Bulletin de la Société française des Amis de la Paix.