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font qu’un. En Irlande, en Alsace-Lorraine, en Pologne, en Macédoine, la nation et l’État font deux. Les aspirations nationales peuvent, d’ailleurs, avoir des origines diverses. Le plus souvent, elles reposent sur des traditions ou des souvenirs toujours vivants et toujours chers. La nation veut, non pas devenir, mais redevenir un État. Parfois le passé n’a fourni qu’un cadre matériel et un lien moral : l’unité du pays, la communauté de la langue, de la littérature, d’une même oppression. Telle était l’Italie depuis le moyen âge jusqu’à l’émancipation définitive en 1860. L’objet des aspirations peut aussi être différent. La nation n’aspire pas toujours à une existence politique entièrement distincte de celle de l’État dont elle fait partie. Souvent elle ne veut qu’un certain degré d’autonomie. Tel est le homerule pour l’Irlande, le dualisme pour la Hongrie. Souvent aussi la nation se compose de parcelles appartenant à des États différents et aspirant à s’en détacher, soit pour se réunir en un nouvel État, soit pour reconstituer un État détruit, soit pour rentrer dans un État toujours existant dont elles ont été démembrées.

Tous ces efforts des nationalités, quel qu’en soit le but et sous quelque forme qu’ils se produisent, sont en eux-mêmes très dignes de sympathie. Le respect se joint à la sympathie quand ils sont suscités par une odieuse oppression. C’est un des cas où la révolte est le plus légitime. Mais, pour les autres États, la révolte la mieux justifiée ne donne aux rebelles une personnalité propre que lorsqu’elle a réuni, sur un territoire distinct, les éléments nécessaires d’une société politique. La nation ne devient une personne que lorsqu’elle forme, sinon un État complètement organisé, du moins l’ébauche déjà distincte d’un État. Jusque-là son soulèvement n’a que le caractère d’une guerre civile. Il exclut, pour le droit international, tout acte d’intervention.

M. Franck, bien que parlant devant une Société qui s’est donné pour mission de propager dans le monde les idées de paix et de faire la guerre à la guerre, admet la légitimité de la guerre quand elle tend à délivrer une nation opprimée. Il ne la justifie pas cependant dans tous les cas. Il veut qu’elle ne se fasse que pour soutenir une nation impuissante à s’affranchir par ses seules forces. Il cite et glorifie, comme remplissant cette condition, les guerres de la France pour la Grèce et pour l’Italie. Rien de plus noble que le sentiment qui l’inspire ; mais il se laisse entraîner hors des limites du droit. Nous discuterons tout à l’heure la question générale de la légitimité de la guerre. Nous ne considérons en ce moment que la question de l’intervention dans les affaires intérieures d’un État. Or, il ne s’agit pas d’autre chose dans l’assistance prêtée à une nation soulevée