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nombre de cas, les plus graves difficultés[1] et d’être consacré, sous une forme solennelle et impérative, par un traité entre les plus grandes puissances de l’Europe[2]. Toutefois, malgré les services qu’il a rendus et malgré l’autorité officielle dont l’a revêtu le traité de Paris, l’arbitrage est loin d’être entré dans la pratique constante des États ; et, fût-il universellement adopté, il resterait toujours dépourvu d’une sanction. Les moyens pacifiques ne reposent que sur le bon vouloir de ceux qui leur font appel. Il ne s’y attache qu’une autorité morale ; il faudrait, à leur service, une force exécutive suffisamment armée pour réduire à l’impuissance toute volonté rebelle. Une telle force n’appartient pas même à cette sorte de tribunal international que les grandes puissances ont institué, dans certaines circonstances, sous la forme de conférences ou de congrès, pour prévenir la guerre ou pour y mettre fin. Elles ne se sont jamais engagées, d’une façon formelle, à donner une sanction aux décisions de ces assemblées, qui ne gardent encore qu’une autorité morale, la plus haute sans doute et la plus sûre, mais insuffisante cependant toutes les fois que le mauvais vouloir des uns pourra compter sur les défaillances ou l’indifférence des autres.

Un tel état de choses est-il conforme au droit ? La réponse ne saurait être douteuse, si l’on se rappelle la maxime de Kant. « On commet une très grande injustice en voulant vivre ou rester dans un état qui n’est pas juridique, c’est-à-dire où personne n’est assuré du sien contre la violence. » C’est sur cette maxime que se fonde, pour les individus, l’obligation d’accepter et de respecter les conditions de l’état social. L’obligation est la même pour les sociétés dans leurs rapports entre elles. Elles commettent une double injustice en maintenant ces rapports dans l’état d’anarchie : elles subissent pour elle-mêmes et elles imposent à leurs membres les conséquences de cet état, c’est-à-dire tous les hasards et tous les excès de la guerre. Nulle société, dans la plus juste guerre et, en même temps, nul membre d’une société « n’est assuré du sien contre la violence ». L’existence de la société et toutes les existences dont

  1. Ces cas ont été énumérés dans une publication de la Société française des Amis de la Paix : La vérité sur l’arbitrage, par M. Jules Levallois. — Voir aussi, dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences morales et politiques (juillet-août 1887), le rapport de M. Arthur Desjardins sur le livre de M. le Comte Kamarowski, traduit du russe par M. de Westman : Le tribunal international.
  2. Par le vingt-troisième protocole de la conférence de 1856, les représentants des grandes puissances signataires du traité de Paris ont émis à l’unanimité le vœu « que les États entre lesquels s’élèverait un dissentiment sérieux, avant d’en venir aux armes, eussent recours, tant que les circonstances l’admettraient, aux bons offices d’une puissance amie ». Un vœu semblable a été adopté en 1885 par la conférence de Berlin sur le régime politique des territoires du Congo.