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Leur abolition pouvait paraître une utopie au moyen âge, comme l’abolition des guerres internationales de nos jours. Le reproche d’utopie ne doit pas plus nous arrêter dans la poursuite de cette seconde réforme qu’il n’a arrêté nos pères dans celle de la première. L’idéal vrai, alors même qu’il paraît irréalisable, n’est pas une utopie. Il faut réserver ce nom pour le faux idéal, comme ces rêves d’une nouvelle organisation sociale, chers à tant de beaux esprits dans les siècles passés et à tant d’esprits mal faits dans le nôtre, qui, loin de pousser l’humanité en avant, la feraient reculer ou l’entraîneraient hors de ses voies.

L’idéal d’une fédération de tous les États pour prévenir les guerres peut être irréalisable : il exprime très certainement et très clairement le dernier terme des progrès poursuivis par l’humanité civilisée dans les relations internationales. La lutte est engagée depuis le moyen âge entre les moyens pacifiques et les moyens belliqueux pour la solution des différends entre les États ; et si les premiers sont très loin encore de s’être substitués entièrement et efficacement aux seconds, la rareté relative et la courte durée, sinon la modération des guerres dans la plus grande partie de notre siècle, attestent les succès obtenus et justifient l’espoir de nouveaux et constants progrès.

L’idéal est légitime, mais il est bien plus encore : il est l’expression d’un devoir. C’est un de ces nobles buts, que non seulement il est beau, mais qu’il est obligatoire de poursuivre. Peu importe, dès lors, que, dans sa plénitude, il soit ou paraisse irréalisable. Lors même qu’il eût été impossible, au moyen âge et dans les siècles suivants de détruire les guerres privées, l’Église et l’État auraient toujours fait leur devoir en les condamnant et en s’efforçant de les réprimer. Elles subsistent encore, en partie dans la Vendetta et le banditisme de certains pays et dans la pratique du duel, qui n’a pas cessé de se maintenir chez tous les peuples civilisés. Peut-être ne seront-elles jamais entièrement détruites sous cette double forme, dont la dernière même ne parait pas sans excuse à de très bons esprits. Les sociétés n’ont pas moins le devoir de tout mettre en œuvre pour qu’une justice régulière et respectée décourage de plus en plus la tentation de recourir à la force. Le devoir, nous ne saurions trop le répéter, est le même dans les relations des sociétés, et le doute le plus fort sur la possibilité du succès, la certitude même que le succès est impossible, ne dispense pas de remplir ce devoir.

On conteste l’obligation, en alléguant les vertus qui naissent de la guerre et qui disparaîtraient avec elle. On peut en dire autant de tous les fléaux et de tous les crimes. Il n’est pas une vertu qui ne trouve son aliment dans quelque calamité publique ou privée. À quoi sert la