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E. BEAUSSIRE.questions de droit des gens

clémence, dit le roi incesteux, fratricide et usurpateur dans Shakespeare, si ce n’est à faire face au crime :

{{{1}}}Whereto serves merces
But to confront the visage of offence ?

O felix culpa quæ talem meruit habere redemptorem, dit un texte liturgique. La faute, même quand les conséquences en ont été heureuses, quand elle a suscité les plus hautes vertus des hommes et le dévouement d’un Dieu, est toujours la faute, et l’obligation subsiste toujours de la prévenir et de la réprimer. Des vertus s’attachaient aussi aux guerres privées, qui ne rappellent pas seulement le souvenir d’horribles excès, mais celui d’une « fleur de chevalerie », qu’on peut regretter avec don Quichotte, même en les maudissant. Leur abolition n’a pas moins été un grand progrès, comme le serait celle des guerres entre les États, quelques regrets que dût laisser la disparition des vertus militaires.

Qu’on se rassure d’ailleurs ! Lors même que l’idéal d’une fédération universelle contre la guerre serait entièrement réalisé, les vertus militaires trouveraient encore occasion de s’exercer. L’abolition des guerres privées n’a pas fait disparaître les passions qui leur dondaient naissance. Elle n’a pas fait disparaître les attentats contre les personnes et elle n’a pas empêché qu’ils ne pussent être commis, non seulement par des malfaiteurs isolés ou associés en petit nombre, mais par des bandes organisées. Elle n’a pas fait disparaître, enfin, les guerres civiles. La paix intérieure, infiniment mieux assurée, exige toujours une police, des gendarmes et, au besoin, pour les cas extrêmes, des corps de troupes. L’établissement d’une justice internationale n’aurait pas des effets différents. Elle rendrait les guerres infiniment plus rares, elle ne les rendrait pas absolument impossibles, et si même elle pouvait assurer leur abolition totale, elle ne le devrait qu’à la force même dont elle serait armée.

L’Europe actuelle possède deux États neutres, à qui le bienfait de la paix est garanti ; mais la Belgique et la Suisse n’ont pas moins des armées pour protéger leur neutralité, en attendant que les grands États, qui s’en sont constitués les garants, interviennent pour la faire respecter, et cette intervention elle-même suppose des armées et peut exiger des actes de guerre. La fédération universelle ne ferait qu’étendre à tous les États les mêmes conditions de neutralité et, parmi ces conditions, il faudrait toujours placer des armées nationales dans chaque État, comme premier moyen de protection, et une armée internationale, comme protection suprême.

L’idéal, dans sa plus haute et sa plus complète expression, n’im-