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plique donc, ni la suppression des armées, ni celle des vertus militaires. Il ne s’agit, pour les premières, que de leur réduction dans des proportions considérables, et, pour les secondes, que de la limitation de leur champ d’exercice. Il serait aussi déraisonnable de se plaindre de cette limitation que de déplorer la diminution de la bienfaisance, si elle devait être l’effet du progrès de la prospérité publique et de l’accroissement du bien-être dans toutes les classes de la société.

La poursuite obligatoire d’un idéal n’est pas, enfin, l’indifférence ou le dédain pour tout ce qui n’en est pas l’entière réalisation. La formule pratique du devoir n’est, au contraire, que le progrès vers l’idéal. Elle embrasse tous les degrés par lesquels on peut s’en approcher. Elle ne méconnaît la valeur d’aucun de ces degrés. Elle défend seulement de les confondre avec l’idéal lui-même. Les États ne rempliront pas tout leur devoir tant qu’ils ne poursuivront pas la fédération universelle de la paix ; mais, au-dessous de ce but suprême, la recherche d’une fédération partielle, le recours de plus en plus fréquent à la médiation ou à l’arbitrage, les efforts énergiques et persévérants de la diplomatie pour écarter ou pour atténuer les causes de guerre, sont autant de façons, toutes dignes d’éloges, de remplir au moins la partie la plus urgente de leur devoir. Or le succès progressif de ces divers moyens laisse encore, malheureusement, une grande place aux chances de guerre et laisse aussi, comme compensation, une place non moins grande à l’exercice des vertus militaires.

X

Des guerres seront toujours possibles, quelques progrès qu’aient faits les nations vers l’idéal de la fédération universelle et lors même qu’elles auraient réalisé cet idéal. Deux conditions sont nécessaires pour qu’elles soient légitimes. La première, que leur cause soit juste ; la seconde, qu’on ait épuisé tous les moyens pacifiques. Il n’y a qu’une juste cause de guerre : la défense d’un droit naturel ou conventionnel. Nul intérêt, s’il n’est pas en même temps un droit, ne justifie une guerre. Nul intérêt matériel, tel qu’un agrandissement territorial, l’acquisition d’une colonie, un avantage quelconque pour le commerce ou pour la marine ; nul intérêt moral, tel qu’une propagande religieuse ou philosophique ou le progrès même de la civilisation. Faire la guerre, en dehors de tout droit, pour un intérêt matériel, c’est faire une guerre de conquête et, quelque gloire qui s’y attache encore dans l’opinion des hommes, une guerre de con-