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E. BEAUSSIRE.questions de droit des gens

quête n’est qu’un acte de brigandage. La poursuite d’un intérêt moral paraît un motif plus honorable ; ce n’est pas, au fond, quand il est invoqué au mépris du droit, un motif moins odieux. Les intérêts moraux veulent une propagande pacifique. Mettre à leur service le fer ou le feu, c’est ce qu’on appelle justement fanatisme, quand ce n’est pas hypocrisie. Porter ainsi aux autres peuples nos idées, nos croyances, notre civilisation, c’est entendre la fraternité internationale d’après la maxime : sois mon frère ou je te tue !

Un droit lésé ou contesté peut seul justifier la guerre ; mais le droit n’est pas toujours clair, même quand il s’appuie sur un texte écrit. De là les procès entre les particuliers. De là, entre les États, les négociations, sous toutes les formes, qui devraient toujours précéder une déclaration de guerre et ne lui laisser la place que lorsque leur impuissance serait devenue manifeste pour tout témoin désintéressé. Si l’on était toujours de bonne foi dans la revendication d’un droit douteux ou qui paraît tel à l’une au moins des parties, on ne devrait jamais refuser une proposition d’arbitrage, ou plutôt on devrait toujours en prendre l’initiative. L’un des meilleurs titres de notre siècle aux justes éloges de l’histoire sera d’avoir multiplié les appels aux solutions de ce genre, également honorables pour la partie qui succombe et pour celle qui l’emporte. Nous sommes assez optimiste pour croire qu’on y aurait toujours recours, s’il ne s’agissait que de droits purement matériels, s’il ne se mêlait aux contestations entre les États des questions de point d’honneur. L’honneur est aussi un droit, le plus précieux de tous pour un peuple fier comme pour un homme de cœur. C’est, malheureusement, le plus difficile à définir. Il ne trouve sa juste expression dans les articles d’aucun code, dans les stipulations d’aucun traité. Il ne la trouve également pour personne dans les jugements d’autrui. Chacun veut être juge de son propre honneur. C’est la cause qui perpétue l’usage du duel. C’est la justification la plus fréquente des guerres, parmi les nations civilisées. Justification menteuse dans bien des cas ; car ce qu’on appelle honneur n’est souvent qu’amour-propre et parfois n’a pas même l’excuse de l’amour-propre blessé. L’offense qu’on allègue n’est qu’un prétexte. Elle est niée, après la guerre, par l’ambassadeur même en la personne duquel on prétend avoir reçu une insulte.

Même sincère, le point d’honneur est presque toujours un motif hors de proportion avec un acte aussi grave, aussi terrible qu’une déclaration de guerre. L’empire d’Autriche est décidé à céder la Vénétie, mais son honneur, tel que l’entendent encore les nations européennes, lui commande de ne la céder qu’après une guerre, heureuse ou malheureuse, c’est-à-dire après qu’il aura sacrifié