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des milliers d’hommes, épuisé ses finances, compromis sa situation parmi les grands États. Est-ce là le véritable honneur ? et ce qu’il y a même de chevaleresque dans un tel préjugé n’est-il pas un reste des coutumes barbares du moyen âge ? Les duels ont encore des motifs semblables. On reconnaît qu’on doit des excuses ; mais on ne veut les faire qu’après avoir prouvé son courage les armes à la main, c’est-à-dire, si le duel est sérieux, après avoir mis en péril deux vies humaines et, avec elles, le bonheur de deux familles. Notre éducation est ainsi faite que cela paraît beau, quoique insensé. Du moins dans un duel, les adversaires n’exposent que leur propre vie dans les guerres, le point d’honneur est chez les gouvernants, les vies exposées sont chez les peuples.

Sans doute, il ne s’agit pas du seul honneur des gouvernants. Le motif invoqué est toujours l’honneur national. Rien de plus respectable qu’un tel sentiment quand il est éclairé et sincère ; mais nul sentiment n’est plus facile à égarer. Les peuples pris en masse, comme ceux qui les gouvernent ou qui parlent en leur nom, confondent aisément l’honneur avec l’amour-propre ou mène avec une sotte vanité. S’ils ne se trompent pas sur le sentiment lui-même, ils se trompent ou se laissent tromper sur son objet. Ils croient, sur de faux bruits, que leur honneur est engagé et ils accueillent avec enthousiasme, ils provoquent même des guerres où leur honneur n’a rien à gagner et où leurs intérêts ont tout à perdre. Enfin nul sentiment ne se laisse plus aisément affirmer chez tout un peuple quand il n’est que l’agitation factice de quelques individus. On n’ose pas contredire ceux qui parlent si haut d’honneur national et le silence des uns semble un acquiescement aux fanfaronnades des autres. Heureux quand les plus fanfarons ne sont pas ceux qui, une fois la guerre déclarée, courront le moins de dangers ! Sur ce point, un certain progrès se manifeste depuis que l’obligation universelle du service militaire tend à devenir le régime commun de toute l’Europe. On ne sent pas moins, nous en sommes convaincu, l’honneur national ; mais on en parle moins bruyamment.

Puisque la guerre, pour un motif d’honneur, se fait à l’image du duel, il faudrait du moins qu’elle s’en appropriât les usages. Tout duel est précédé d’une réunion de témoins, choisis de part et d’autre, qui, en fait, constituent une sorte de tribunal d’honneur. Si les particuliers, par cette obligation de soumettre leur différend à un commencement d’arbitrage, consentent à ne pas se faire seuls juges de leur honneur, les États n’ont aucune raison de se montrer plus jaloux du leur. En fait d’honneur, comme pour tout autre droit, le premier progrès devrait être de ne recourir à la guerre qu’après