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moments, car sa pensée à cet égard est assez vacillante. Ainsi, dans un passage de sa Philosophie de Hamilton, il déclare que « l’idée d’espace est au fond une idée de temps[1] ». Un peu plus haut, il avait dit : « La participation de l’œil à la production de notre notion actuelle d’étendue altère profondément son caractère, et constitue, à mon avis, la principale cause de la difficulté que nous trouvons à croire que l’étendue tire la signification qu’elle a pour nous, d’un phénomène non de synchronisme, mais de succession. » Et il ajoutait « En fait, notre conception actuelle de l’étendue ou de l’espace est une peinture oculaire, et comprend un grand nombre de parties apparaissant à la fois, ou se succédant si rapidement, que notre conscience les prend pour des parties simultanées[2] ».

Mais, si notre perception de l’espace est nécessairement successive, peut-être au moins l’espace lui-même sera-t-il composé de parties coexistantes. Non, dit Stuart Mill, et cette fois à bon droit, car « nous n’avons pas de raison de croire que l’espace ou étendue en soi diffère de ce qui nous le fait reconnaître[3]. » Et : « Cette série de sensations musculaires, ou cet accroissement d’effort par lequel il est incontestable que nous sommes informés de l’étendue, c’est l’étendue[4]. »

Ainsi c’est à l’intervention de la vue que serait due, suivant Mill, l’illusion de la simultanéité, — faut-il dire de nos impressions sensibles ou des parties de l’espace elles-mêmes ? car il est des passages en contradiction avec ceux que nous venons de citer, et dans lesquels il est dit par exemple, que « l’idée de corps étendu est l’idée d’une variété de points résistants, existant simultanément, mais qui ne peuvent être perçus par le même organe tactile que successivement[5] ». — Mais à ce compte, l’espace devrait apparaître aux aveugles-nés comme successif. Stuart Mill le pense, et, à l’appui de son opinion, il rapporte en entier le texte de la fameuse expérience de Platner, qu’il emprunte à Hamilton, et dans lequel il est dit entre autres choses qu’en fait, « pour les aveugles-nés, le temps tient lieu d’espace. Le voisinage et la distance ne signifient pour eux rien de plus qu’un temps plus court ou plus long, un nombre plus petit ou plus grand de sensations, qui leur sont nécessaires pour passer d’une sensation à une autre[6] ». Il est certain en effet que si, pour les aveugles-nés, l’espace était une série de sensations, ou, ce qui revient

  1. Philosophie de Hamilton, p. 269.
  2. Ibid., p. 268.
  3. Ibid., p. 268.
  4. Ibid., p. 267.. C’est Stuart Mill lui-même qui souligne ici.
  5. P. 267.
  6. P. 270.