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à l’essentiel, étant donné le point de vue que l’on considère. C’est une simplification des idées, mais ce n’est en aucune façon la substitution d’un ordre particulier à un ordre différent d’idées ou de choses, l’un de ces deux ordres remplaçant l’autre et devant servir pour lui. Cela étant, quelle ressemblance y a-t-il entre le symbolisme algébrique et celui dont nous parlent MM. Mill et Spencer ? Où est, dans ce dernier, la double conversion de la chose symbolisée dans le symbole, et du symbole dans la chose symbolisée, conversion de laquelle il suit que les résultats de l’opération faite sur le symbole peuvent s’appliquer à la chose symbolisée elle-même ? Et l’identité fondamentale de nature entre le symbole et la chose symbolisée, la retrouvons-nous ici ? Mill et Spencer pourraient-ils admettre que la série de nos sensations visuelles est l’expression simplifiée de la série de nos sensations musculaires, et que les deux séries, identiques pour le fond, ne diffèrent que par des accidents étrangers à l’idée d’espace ? Non, il est évident au contraire qu’elles sont hétérogènes l’une à l’autre, et constituées chacune suivant une loi propre : mais alors comment peut-on dire que la première est représentative de la seconde ?

L’idée de la substitution de la série visuelle à la série tactile et musculaire est donc une idée manifestement fausse, et à laquelle il n’y a pas lieu de s’arrêter. Du reste, quand on lit avec attention les passages de leurs écrits où les trois philosophes anglais ont traité la question qui nous occupe, on reconnaît vite que cette substitution d’un ordre de sensation à l’autre, cet effacement total de la série tactile et musculaire par la série visuelle, quoique ce soient là les propres termes dont ils se servent, répondrait fort mal à leur véritable pensée. Ce qu’ils veulent dire en réalité, c’est que les sensations visuelles sont associées aux sensations musculaires, et que, bien loin de les effacer, et de les exclure entièrement de l’esprit, elles les remorquent en quelque sorte, et les rappellent à leur suite. Par exemple, la vue d’une série de points colorés interposés entre deux points extrêmes A et B nous rappellerait, d’après ces philosophes, la série de sensations musculaires par lesquelles nous aurions à passer pour aller de l’un à l’autre, et par là même nous ferait connaître la distance qui les sépare. Mais il est évident qu’à prendre la question en ces termes, on retombe dans la difficulté que nous signalions tout à l’heure, et que l’objection que nous formulions se représente plus pressante que jamais : comment se fait-il qu’une série simultanée, ou paraissant telle, comme c’est le cas de la série visuelle, puisse suggerer dans l’esprit le souvenir d’une série successive, comme est la série musculaire ? Les associationistes répondront à