Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
DUNAN.l’espace visuel et l’espace tactile

cela que la série musculaire, successive en soi, perd ce caractère par suite de l’association étroite que chacun de ses termes contracte avec un terme de la série visuelle, et qu’elle doit, grâce à cette association, apparaître à la conscience comme une série simultanée, puisque les termes de la série visuelle évoquant ceux de la série musculaire sont eux-mêmes donnés simultanément. Ainsi, c’est sur la puissance de la loi d’association que l’on compte pour opérer la transformation de la série successive de nos sensations musculaires en une série simultanée. Mais il est facile de voir que, si la loi d’association paraît en effet travailler dans ce sens, elle travaille aussi, et beaucoup plus fortement sans doute, en sens contraire, puisque nos sensations musculaires nous étant toujours données en succession, sont nécessairement associées entre elles d’après l’ordre successif, et non d’après l’ordre simultané. Il y a donc là comme deux tendances antagonistes, l’une en vertu de laquelle les sensations musculaires s’agrégeraient aux sensations visuelles, et prendraient le caractère de simultanéité qu’ont ces dernières ; l’autre en vertu de laquelle ces mêmes sensations musculaires s’agrégeraient fortement entre elles, et garderaient le caractère d’une série successive qui leur appartient en propre. De ces deux tendances laquelle devra remporter ? C’est évidemment la seconde. Comment veut-on en effet qu’une association factice et accidentelle entre deux éléments aussi hétérogènes qu’un point lumineux et un état musculaire, puisse prévaloir sur l’association qui s’établit entre un état musculaire donné et un autre état musculaire contigu, lesquels sont parfaitement homogènes par conséquent, et comme soudés l’un à l’autre, puisque le premier prépare le second, et que le second n’est que la continuation et en quelque sorte une nouvelle phase du premier ? Certes l’association produit parfois des résultats qui peuvent surprendre ; mais il est pourtant des miracles qu’elle est incapable de faire. Comment par exemple la loi d’association pourrait-elle suffire à communiquer au regard de notre conscience le caractère de la simultanéité à la série de nos sensations musculaires, alors qu’une expérience immédiate de ces sensations nous les a toujours présentées comme successives, et que notre nature répugne absolument, à ce qu’il semble, à l’idée même de leur simultanéité ? Du reste il n’est pas besoin d’accumuler les raisons pour convaincre d’erreur sur ce point MM. Mill, Bain et Spencer ; un simple appel à la conscience suffit. Que fou regarde dans l’espace un point qui ne soit pas trop éloigné, à la distance de cent mètres par exemple, que l’on cherche à se représenter mentalement la série de pas qu’il faudrait faire pour y atteindre, — si toutefois on le peut, car cette représentation