Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/180

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LES ÉTATS MORBIDES DE L’ATTENTION


Pour achever l’étude de l’attention, commencée ici il y a quelques mots[1], il nous reste à examiner les cas morbides. Je ne me propose pas d’esquisser une pathologie de l’attention : le titre serait trop ambitieux et l’entreprise prématurée ; mais il y a des faits négligés par la psychologie, quoiqu’ils soient vulgaires, qu’il est bon de passer en revue. Leur importance pour faire mieux comprendre le mécanisme de l’attention normale n’échappera pas au lecteur.

Le langage courant oppose à l’attention l’état de « distraction » ; mais ce mot, dans notre langue et dans plusieurs autres, a un sens équivoque ; il désigne des états de l’esprit, en apparence assez semblables, au fond tout à fait contraires. On appelle « distraits » les gens dont l’intelligence est incapable de se fixer d’une manière quelque peu stable, qui passent incessamment d’une idée à une autre, au gré des changements les plus fugitifs de leur humeur ou des événements les plus insignifiants dans leur milieu. C’est un état perpétuel de mobilité et d’éparpillement qui est l’antipode de l’attention ; il se rencontre fréquemment chez les enfants et chez les femmes. Mais on applique aussi le mot « distraction » à des cas tout différents. Les gens absorbés par une idée et distraits » de ce qui les entoure, offrent peu de prise aux événements extérieurs qui glissent sur eux, sans les pénétrer. Ils paraissent incapables d’attention, parce qu’ils sont très attentifs. Plusieurs savants sont célèbres par leurs « distractions » et il y en a des exemples si connus de tout le monde qu’il est inutile de les rapporter. Tandis que les distraits-dissipés se caractérisent par le passage incessant d’une idée à une autre, les distraits absorbés se caractérisent par l’impossibilité ou la grande difficulté du transfert. Ils sont rivés à leur idée, prisonniers sans désir d’évasion. En fait, leur état est une forme mitigée de ce cas morbide que nous étudierons plus loin, sous le nom d’idée fixe.

Ces manifestations de la vie ordinaire, ces diverses formes de « distraction » sont en définitive des cas frustes qui instruisent peu

  1. Voir les numéros d’octobre et novembre 1887.