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TH. RIBOT.les états morbides de l’attention

et il y aura plus de profits pour nous à insister sur les formes franchement pathologiques. Sans prétendre à rien qui ressemble à une classification systématique, nous essayerons de le grouper suivant un ordre rationnel. Pour y parvenir, c’est le fait même de l’attention normale qui doit nous servir de point de départ et il nous reste à en noter les variations de nature et les déviations. Certains auteurs ont étudié les troubles de l’attention, en les rapportant aux différents types de maladies mentales généralement admis : hypocondrie, mélancolie, manie, démence, etc. Ce procédé, outre qu’il entraîne de perpétuelles redites, a le défaut plus grave de ne pas mettre le fait de l’attention en pleine lumière. Elle est étudiée non pour elle-même, mais à titre de symptôme. Pour nous, au contraire, elle doit être au premier plan ; le reste est accessoire. Il est nécessaire que les formes morbides soient rattachées au tronc commun — l’état normal — qu’on en saisisse toujours clairement les rapports : c’est à cette condition seule que la pathologie peut nous instruire.

Si, comme nous l’avons fait précédemment, on définit l’attention : la prédominance temporaire d’un état intellectuel, ou d’un groupe d’états, avec adaptation naturelle ou artificielle de l’individu ; — si tel est le type normal, on peut noter les déviations suivantes :

1o Prédominance absolue d’un état, ou d’un groupe d’états, qui devient stable, fixe, qui ne peut être délogé de la conscience. Ce n’est plus un simple antagoniste de l’association spontanée, bornant son rôle à la gouverner ; c’est un pouvoir destructeur, tyrannique, qui s’asservit tout, qui ne permet à la prolifération des idées de se faire que dans un seul sens, qui emprisonne le courant de la conscience dans un lit étroit, sans qu’elle en puisse sortir, qui stérilise plus ou moins tout ce qui est étranger à sa domination. L’hypocondrie, mieux encore les idées fixes et l’extase, sont des cas de ce genre. Ils forment un premier groupe morbide que j’appellerai l’hypertrophie de l’attention.

2o Dans le second groupe, je comprendrai les cas où l’attention ne peut se maintenir ni souvent même se constituer. Cette défaillance se produit dans deux circonstances principales. Tantôt le cours des idées est si rapide, si exubérant, que l’esprit est livré à un automatisme sans frein. Dans ce flux désordonné, aucun état ne dure ni ne prédomine ; il ne se forme aucun centre d’attraction, même temporaire. Ici le mécanisme de l’association prend sa revanche ; il agit seul, de toute sa puissance, sans contre-poids. Telles sont certaines formes de délire et surtout la manie aiguë. Tantôt, le mécanisme de l’association ne dépassant pas l’intensité moyenne, il y a absence ou diminution du pouvoir d’arrêt. Cet état se traduit subjectivement par