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TH. RIBOT.les états morbides de l’attention

passions vives, excès sexuels ou autres, anémie, maladies débilitantes, etc.[1]. Finalement, on arrive au même résultat par les deux chemins. Aussi l’idée fixe, même sous la forme la plus simple, celle qui nous occupe, qui paraît toute théorique et renfermée dans le champ des opérations intellectuelles, n’est cependant pas un événement purement intérieur, sans concomitants physiques. Tout au contraire, les symptômes organiques qui l’accompagnent indiquent une neurasthésie : douleurs à la tête, névralgie, sentiment d’oppression, trouble de la motilité, des vaso-moteurs, des fonctions sexuelles, insomnie, etc. Le phénomène psychique de l’idée fixe n’est que l’effet, entre beaucoup d’autres, d’une seule et même cause. Toutefois, il convient de remarquer que, s’il suffit au médecin de ramener ces manifestations multiples à une source unique, la dégénérescence, il resterait au psychologue une tâche bien plus difficile. Il lui faudrait, outre la cause générale, trouver les causes particulières de chaque cas. Pourquoi telle forme a-t-elle prévalu chez tel individu ? Pourquoi la préoccupation exclusive du calcul chez l’un, des noms chez un autre, des billets de banque chez un autre ? Quelles sont les causes secondaires qui ont imposé une direction ? Chaque cas devrait être étudié séparément. En supposant que cette recherche puisse aboutir, le mieux serait de commencer par les cas les plus graves, ceux que nous avons éliminés. En réalité, ils sont plus simples et quelques-uns se rattachant à un appareil organique déterminé (par exemple, l’idée fixe chez certains érotomanes), on y trouverait un point de départ et un fil pour se guider. Mais appliquer d’emblée l’analyse psychologique aux formes intellectuelles de l’idée fixe, c’est se condamner à un insuccès. Au reste, nous n’avons pas à tenter ici ce travail. Notre seul but, c’est d’examiner de plus près le mécanisme de l’idée fixe pour voir par où il se rapproche de celui de l’attention et par où il en diffère.

À cette question, nous pouvons répondre tout de suite : Il n’y a entre les deux aucune différence de nature : il n’existe qu’une différence de degré : l’idée fixe a plus d’intensité et surtout plus de durée. Prenons un état quelconque d’attention spontanée ; supposons que, par des procédés artificiels, on puisse le renforcer et surtout le rendre permanent, la métamorphose en idée fixe sera consommée ; tout cet ensemble de conceptions déraisonnables qui lui font cortège et qui ont un faux air de folie, s’y ajoutera nécessairement, par le seul effet du mécanisme logique de l’esprit. Le terme « idée fixe » désigne la partie

  1. Pour l’exposé détaillé des causes, voir en particulier Tamburini, mém. cité, p. 27.