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principale de l’état psychologique complet, mais seulement une partie : le centre d’où tout part et où tout revient. La permanence d’une seule image, d’une seule idée, rien de plus, serait en contradiction avec les conditions d’existence de la conscience qui exige le changement. Le monoïdéisme absolu, s’il y en a, se rencontre tout au plus dans les formes les plus hautes de l’extase, comme nous le dirons plus loin. Le mécanisme de l’idée fixe consiste en associations d’états de conscience dans une direction unique — associations parfois lâches et peu cohérentes, plus souvent d’un lien logique très serré qui s’exprime par des interrogations incessantes.

Quelques auteurs, particulièrement Wesphal, en notant les différences entre l’idée fixe et les désordres mentaux qualifiés de folie, font cette remarque importante : « L’idée fixe est une altération formelle du processus de l’idéation, non de son contenu ; » en d’autres termes, il y a altération, non dans la nature, la qualité de l’idée, qui est normale, mais dans sa quantité, son intensité, son degré. Réfléchir sur l’origine des choses ou l’utilité des billets de banque est un acte parfaitement raisonnable, et cet état mental n’est nullement comparable à celui du mendiant qui se croit millionnaire ou d’un homme qui se croit femme. Le trouble « formel » consiste dans cette nécessité impitoyable qui contraint l’association à suivre toujours une seule voie. Comme il y a des intermittences, des changements momentanés de direction, ces malades qui ont une intelligence vive et une culture peu commune, ont pleine conscience de l’absurdité de leur état : l’idée fixe leur apparaît comme un corps étranger, logé en eux, qu’ils ne peuvent expulser ; mais elle ne parvient pas à les envahir tout entiers, elle reste une « idée délirante avortée ».

Cette nature formelle de l’idée fixe montre bien son étroite parenté avec l’attention. Celle-ci, nous l’avons dit plusieurs fois, n’est qu’une attitude mentale. Les perceptions, images, idées, émotions, sont sa matière ; elle ne les crée pas, elle ne fait que les isoler, les renforcer, les mettre en lumière ; elle n’en est qu’un mode. La langue courante elle-même établit une distinction entre la forme ordinaire et la forme attentive des états de l’esprit.

Je suis donc tout disposé à soutenir, avec Buccola, « que l’idée fixe est l’attention à son plus haut degré, la dernière limite de sa faculté d’inhibition ». Il n’y a aucune limite, même flottante, entre les deux ; et, pour nous résumer, si on les compare l’une à l’autre, voici ce que l’on constate :

1o Dans les deux cas, prédominance et intensité d’un état de conscience, mais bien supérieures dans le cas de l’idée fixe. Celle-ci, par suite de conditions organiques, est permanente ; elle dure ; elle