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TH. RIBOT.les états morbides de l’attention

dispose d’un facteur psychique d’une grande importance : le temps.

2o Dans les deux cas, le mécanisme de l’association est limité. Cet état d’exception dure peu dans l’attention ; la conscience revient spontanément à son état normal qui est la lutte pour l’existence entre des états hétérogènes. L’idée fixe empêche toute diffusion.

3o L’idée fixe suppose — c’est un des effets ordinaires de la dégérescence — un affaiblissement notable de la volonté, c’est-à-dire du pouvoir de réagir. Il n’y a pas d’état antagoniste qui puisse la réduire. L’effort est impossible ou infructueux. De là, cet état d’angoisse du malade, conscient de son impuissance.

Physiologiquement, on peut avec vraisemblance se représenter la condition de l’idée fixe de la manière suivante : Àl’état normal, le cerveau travaille tout entier : c’est une activité disséminée. Il se produit des décharges d’un groupe cellulaire à un autre, ce qui est l’équivalent objectif des perpétuels changements de la conscience. À l’état morbide, quelques éléments nerveux sont seuls actifs, ou du moins leur état de tension ne passe pas à d’autres groupes. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que les éléments nerveux occupent un point ou une région limitée du cerveau ; ils peuvent être épars, pourvu qu’ils soient étroitement reliés et associés pour le travail commun. Quelle que soit leur position dans l’organe cérébral, ils sont en fait isolés : toute l’énergie disponible s’est accumulée en eux et ils ne la communiquent pas à d’autres groupes : d’où leur monopole et leur activité exagérée. Il y a un défaut d’équilibre physiologique, dû probablement à l’état de nutrition des centres cérébraux.

Esquirol appelait l’idée fixe une catalepsie de l’intelligence. On pourrait aussi la comparer à un phénomène d’ordre moteur, la contracture. Celle-ci est une constriction prolongée des muscles ; elle dépend d’un excès d’irritabilité des centres nerveux : la volonté est impuissante à la détruire. L’idée fixe a une cause analogue ; elle consiste en une tension excessive, et la volonté n’a pas de prise sur elle.

II

On pourrait appeler l’idée fixe la forme chronique de l’hypertrophie de l’attention ; l’extase en est la forme aiguë. Nous n’avons pas à étudier en entier cet état ordinaire de l’esprit. Nous l’avons pris ailleurs[1], par son côté négatif, l’anéantissement de la volonté ; nous le prendrons aujourd’hui par son côté positif, l’exaltation de l’intelligence.

  1. Les Maladies de la volonté, ch.  V.