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Rapprocher l’attention de l’extase n’est pas une nouveauté : l’analogie des deux états est si grande que plusieurs auteurs se sont servis de l’attention pour définir l’extase. « C’est, dit Bérard, une exaltation vive de certaines idées qui absorbent tellement l’attention que les sensations sont suspendues, les mouvements volontaires arrêtés, l’action vitale même souvent ralentie. » Pour Michéa, c’est « une contemplation profonde, avec abolition de la sensibilité et suspension de la faculté locomotrice ». Maury s’exprime encore plus explicitement. « Une simple différence de degré sépare l’extase de l’action de fixer avec force une idée dans l’intelligence. La contemplation implique encore l’exercice de la volonté et le pouvoir de faire cesser la tension extrême de l’esprit. Dans l’extase qui est la contemplation portée à sa plus haute puissance, la volonté susceptible à la rigueur de provoquer l’accès, est impropre à la suspendre[1] ».

Comme pour l’idée fixe, on peut, entre l’état normal et l’extase, noter des degrés intermédiaires. Les hommes doués d’une puissante attention peuvent s’isoler spontanément du monde extérieur. Inacessibles aux sensations et même à la douleur, ils vivent temporairement dans cet état spécial qu’on a nommé la contemplation.. L’histoire tant citée d’Archimède, pendant la prise de Syracuse, vraie ou fausse en fait, est vraie psychologiquement. Les biographes de Newton, Pascal, W. Scott, Gauss et de bien d’autres, ont rapporté de nombreux exemples de ce ravissement intellectuel.

« Avant l’invention du chloroforme, les patients supportaient quelquefois de violentes opérations sans donner aucun signe de douleur, et après, ils déclaraient qu’ils n’avaient rien senti, ayant concentré leur pensée par un puissant effort d’attention sur quelque sujet qui les captivait complètement.

« Bien des martyrs ont souffert la torture avec une parfaite sérénité qu’ils n’avaient, de leur propre aveu, aucune difficulté à maintenir. Leur attention extatique (entranced) était tellement remplie par les visions béatifiques qui se présentaient à leurs regards ravis, que les tortures corporelles ne leur causaient aucune douleur[2]. »

Le fanatisme politique a produit plus d’une fois les mêmes effets : mais partout et toujours c’est une grande passion qui sert de point d’appui ; ce qui prouve une fois de plus que les formes vives et stables de l’attention dépendent de la vie affective et d’elle seule.

Laissons les degrés intermédiaires pour arriver à l’extase franche et négligeons toutes les autres manifestation physiques et psychiques

  1. Maury. Le sommeil et les rêves, p. 235.
  2. Carpenter. Mental Physiology, ch.  iii.