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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

Objectivement ce fait se révèle par le temps nécessaire à l’opération. « Le temps écoulé entre le moment où se produit une excitation et celui où le mouvement responsif se manifeste est notablement plus long, si l’excitation doit être perçue que si elle ne le doit pas » (p. 62). Au sommet de l’échelle des êtres vivants cette suspension entre les deux termes de l’activité psychique porte le nom d’hésitation, d’indécision, et elle peut être très prolongée ; mais elle s’observe dans les actes les plus simples, comme celui de signaler une perception, quand cet acte n’est ni héréditaire, ni habituel. Il y a quelque chose de plus prompt que la pensée ; c’est le réflexe.

L’imprévisibilité et la durée plus grande de l’acte psychique sont-elles des caractères décisifs auxquels la présence de la conscience puisse être reconnue ? Ils se trouveraient, ce semble, aussi bien dans les phénomènes organiques les plus vulgaires ; ainsi un médecin qui administre une purgation à son malade ne peut prévoir avec certitude à quelle dose ce médicament produira son effet accoutumé, et si cet effet est produit, il ne le sera qu’au bout d’un certain temps. D’autre part, voici un calculateur qui accomplit rapidement une opération compliquée et aboutit nécessairement au résultat prévu ; le phénomène est-il purement organique ? Si vous écartez toute autre indication, les deux critères adoptés pour la présence de la conscience peuvent donc vous engager à déclarer conscient un phénomène purement organique et purement organique un phénomène évidemment conscient. Ils sont donc insuffisants. La conscience, il faut le reconnaître, ne se laisse saisir que par la conscience ; c’est ce que l’auteur reconnaît implicitement en disant que la conscience est indéfinissable[1] ; mais s’il en est ainsi, il faut renoncer à soutenir, comme le fait l’auteur (p. 9), que les divers esprits sont impénétrables les uns aux autres. La présence d’un esprit autre que le nôtre est, dit-il, non pas perçue, mais inférée par analogie (p. 248). Ce n’est pas un objet, mais un éject, c’est-à-dire une projection de notre esprit hors de nous, au vu de certains signes que nous savons par notre expérience personnelle être ceux de l’activité mentale. Cette thèse de l’idéalisme absolu peut être professée légitimement

  1. Il ajoute : « Si nous disons qu’un homme ou un animal est conscient, nous voulons dire qu’il possède la faculté de sentir, et si l’on nous demande ce que veut dire sentir nous ne pouvons répondre que ce qui distingue l’existence non étendue de celle qui est étendue » (p. 60). Nous ne pouvons même pas répondre ainsi. Les deux concepts de pensée et d’étendue ne forment pas une opposition symétrique rigoureuse, quoi qu’en ait pensé Descartes. La conscience implique toujours un certain volume en tant qu’agrégat de sensations plus ou moins nettement localisées et rapportées à l’organisme. Nous ne pouvons songer évidemment à donner ici de cette proposition une démonstration quelconque.