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REVUE GÉNÉRALE.psychologie criminelle, etc.

Les géométries non euclidiennes de Gauss et de Riemann n’ont pas eu jusqu’à présent et ne paraissent pas devoir, d’ici longtemps, exercer quelque influence sur l’enseignement de la mécanique, quoique l’on ait commencé à discuter quelles modifications devraient recevoir les principes de cette science si l’on admettait que l’espace physique n’est pas soumis au postulatum d’Euclide. Mais, en ce qui concerne la formule à donner à ces principes, il y a des questions préjudicielles à résoudre et qui touchent aux notions de temps et d’espace.

Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié l’article récent (mars 1887) où M. Calinon a discuté la première de ces notions et montré, d’une façon irréfutable, que, par exemple, la formule admise pour le principe d’égalité d’action et de réaction ne peut être vraie qu’en prenant pour mesure du temps un mouvement déterminé, tel que la rotation de la terre. La question peut être prise autrement qu’il ne l’a fait, sur le premier principe même de la dynamique, celui de l’inertie, d’après lequel un point matériel abandonné à lui-même doit, soit rester en repos, soit se mouvoir uniformément et en ligne droite.

La notion de temps étant essentiellement relative au mouvement, il est clair qu’une telle formule est vicieuse, en ce qu’elle suppose implicitement, au contraire, que le temps est quelque chose d’absolu. Voici comment on doit procéder, d’après M. Lange : Supposons un point matériel abandonné à lui-même (ce qui est d’ailleurs une pure fiction mathématique), et définissons la mesure du temps en sorte que le mouvement de ce point soit uniforme, c’est-à-dire, disons que les temps écoulés seront égaux lorsque les espaces parcourus par ce point seront égaux. Le principe consiste à dire que, pour tout autre point matériel abandonné à lui-même, et en supposant la même mesure de temps, le mouvement sera uniforme.

L’échelle de temps ainsi déterminée et qui en général est supposée dans toute la dynamique, M. Lange l’appelle échelle de temps d’inertie (Inertiezeitscala), et il fait nettement ressortir ce que son choix a de conventionnel.

Mais la même convention n’existe pas seulement pour le temps ; elle existe aussi pour l’espace, auquel le caractère de l’absolu doit être également dénié. Quand on dit que le point matériel se meut en ligne droite, on conçoit ce mouvement par rapport à un certain système de coordonnées ou de points de repère. Mais sa fixité absolue ne pouvant être reconnue, même si l’on suppose son existence, il faut nécessairement définir conventionnellement ce système de coordonnées par rapport auquel le mouvement est rectiligne.

Or, il est clair qu’un seul point est insuffisant pour cette définition ; M. Lange a montré[1] qu’il faut supposer au moins trois points matériels abandonnés à eux-mêmes (il admet d’ailleurs, pour plus de simplicité,

  1. Sitzungsberichten d. Kgl. Sächs. Gesellsch. d. Wissensch., 1885, p. 333.