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reproche au sensualisme vulgaire de ne voir que les cinq sens, de méconnaître la subordination nécessaire où ils sont relativement aux sens plus intimes et plus énergiques du système tout entier ; mais longtemps avant Lewes, Cabanis, Destutt de Tracy, Thurot, Maine de Biran, avaient montré l’insuffisance du point de vue auquel s’était placé Condillac et cherché dans les sensations internes et dans le milieu social des sources fécondes de connaissance. D’un autre côté, nous n’aimons pas beaucoup l’expression sensualisme, employée par Cousin, à cause du mot sensuel auquel elle faisait penser, pour décrier auprès des gens du monde des doctrines qu’il a combattues avec de bonnes raisons, mais souvent aussi avec des déclamations et des injures. On peut dire sans doute que le mot est devenu d’un usage commun : mais peut-être seraît-il bon en philosophie de renoncer à ces termes équivoques et de ne plus donner aux doctrines des noms qui ne seraient pas acceptés par leurs auteurs.

À la théorie psychologique de Lewes, M. Carrau fait un certain nombre d’objections que nous nous dispenserons de rapporter, parce qu’elles ont été publiées en grande partie par la Revue philosophique dans le second volume de 1876.

Le second chapitre du livre traite de la folie au point de vue psychologique. En s’appuyant sur les travaux des aliénistes, spécialemen sur ceux de MM. Despine et Maudsley, l’auteur établit que la folie quand elle n’est pas le résultat d’une prédisposition organique héréditaire ou d’un accident purement physiologique, est presque toujours due à une exaltation, à une surexcitation maladive de la partie passionnée de nous-mêmes, à l’intempérance, à la débauche, à une passion exclusive, brusquement et violemment contrariée. Il remarque avec finesse et profondeur qu’au fond de toutes ces passions, il n’est pas difficile d’apercevoir une exaltation monstrueuse de l’égoïsme humain, que c’est pour trop s’aimer, se complaire trop en soi-même, faire de soi le but unique de toute activité, que l’homme, par une juste et terrible punition, est exposé à devenir pour soi-même un étranger (alienus). Aussi indique-t-il comme le meilleur préservatif contre la folie, l’observation ferme et constante de la loi morale : dans une page que nous recommandons à cause de son élévation et de sa pureté morales (p. 89) à ceux qui voudront se faire une juste idée du genre de talent et du caractère de l’auteur, il montre qu’en développant harmonieusement toutes les puissances de son être, en épurant et développant sa raison, en assurant son empire par une volonté toujours en éveil, on édifiera en soi comme un temple où les tumultes de la sensibilité ne viendront pas détruire la paix, où les disgrâces de la fortune ne porteront plus que des coups amortis.

M. Carrau traite ensuite de la responsabilité morale dans certains états analogues à la folie et chez les criminels. Tout en distinguant le génie de la folie, il fait fort bien comprendre, par des raisons toutes psychologiques, comment l’accusation de folie a souvent pesé sur le