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toire pour demeurer plus complètement impartial, et séparément les questions dogmatiques, pour saisir plus fortement les faits et suivre plus aisément sa pensée. Mais la méthode vaut surtout par la manière dont on l’applique et le savant ne l’applique bien que si elle convient à ses habitudes et à ses goûts. À ce point de vue, on peut dire que M. L. Carrau a donné une forme originale à une méthode qui a été pratiquée par Cousin et les spiritualistes de son école : « Cette méthode, dit-il, n’est pas nouvelle, sans être pour cela plus mauvaise. Nous l’avons reçue de nos maîtres, nous faisons de notre mieux pour la transmettre à nos élèves. Elle est prudente, elle est intéressante ; loin d’enseigner le scepticisme ou l’intolérance, elle apprend le respect, la sympathie même pour ceux qui, sincèrement, ne pensent pas comme nous. Elle donne prix et solidité aux convictions laborieusement conquises sur des convictions contraires. Elle ôte au dogmatisme son tranchant, son orgueil, lui communique quelque chose de cette charité qu’inspire d’ordinaire, dans la vie, le bonheur succédant à de longues épreuves. » M. Carrau attribue à sa méthode les qualités qui le distinguent : il a toujours du respect, quelquefois de la sympathie pour ceux qui ne pensent pas comme lui ; il n’est ni tranchant, ni orgueilleux, ni intolérant, ni sceptique ; il est prudent et se défie peut-être même trop de lui-même ; enfin il écrit avec une clarté qui est la probité du philosophe et exprime, sous une forme accessible à tous, des sentiments élevés, délicats, des idées fines, quelquefois originales et profondes, souvent fort justes. Son nouveau livre fait honneur à la philosophie spiritualiste qui semble avoir pris l’excellent parti, tout en maintenant ses doctrines essentielles, de s’instruire à l’école de ses adversaires, de prendre dans leurs théories ce qui est incontestable pour s’en enrichir elle-même. On ne saurait trop s’applaudir d’un tel résultat, car le domaine de la connaissance incontestée s’agrandit ainsi tous les jours par le travail et les recherches des philosophes de toutes les écoles : transibunt homines, augebitur scientia devrait être la devise des philosophes comme des savants.

F. Picavet.

Ludovic Carrau. Etude historique et critique sur les preuves du Phédon de Platon en faveur de l’immortalité de l’âme humaine. Alphonse Picard, Paris, 1887.

« Peut-être tout homme qui pense, dit M. Carrau, a-t-il le devoir, au moins une fois dans sa vie, de s’arrêter devant les nobles arguments du Phédon, d’en pénétrer le sens, d’en éprouver la solidité et de se demander ce qu’après vingt-deux siècles, ils contiennent encore, pour qui sait les entendre, de certitude ou de raisonnables espérances. » M. Carrau a essayé de s’acquitter de ce devoir, à un âge où ses études et ses réflexions antérieures lui permettaient d’avoir, sur cette question de l’immortalité que chacun de nous se pose de temps à autre, une opinion raisonnée et motivée.