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ANALYSES.l. carrau. Étude sur le Phédon.

M. Carrau admet, avec Geddes et Bonghi, qu’il y a cinq arguments dans le Phédon et il les résume avec le dernier sous la forme suivante : « Si nous posons en fait que l’âme a une activité qui lui est propre, on prouve : 1o que l’alternative phénoménale de la vie et de la mort ne l’atteint pas dans son essence ; 2o que la connaissance lui est essentielle ; 3o qu’elle est de nature divine, non le corps ; 4o qu’elle est substance ; 5o qu’elle est substance indestructible. » Il croit que si Hegel et Teichmüller s’étaient contentés de dire que Platon n’a pas démontré l’immortalité du moi, il faudrait peut-être avouer qu’ils ne se trompent pas ; mais il soutient que Platon n’a pas voulu seulement démontrer l’immortalité de l’âme en tant que substance et principe universel de la vie, qu’il a admis la subsistance d’une forme plus ou moins parfaite et pure, d’une conscience, d’une volonté peut-être plus ou moins détachée de tout ce qui n’est pas l’éternel, le simple, l’immuable, le divin. Il retrouve des traces de l’animisme primitif dans Platon, dans Plutarque, qui a recueilli toutes les traditions du platonisme et se représente l’âme humaine chez Platon comme une nature intermédiaire entre la matière et les idées.

Dans un second chapitre, l’auteur recherche les antécédents historiques des preuves du Phédon en faveur de l’immortalité. Il critique avec beaucoup de sagacité et de pénétration la théorie de Steinhart qui, exagérant une vue très systématique de Hermann, prétend retrouver dans les quatre preuves qu’il admet, les systèmes d’Héraclite, de Pythagore et d’Empédocle, des Eléates et d’Anaxagore, enfin celui de Platon lui-même. Il ne croit pas que la 4e preuve du Phédon, celle par laquelle Platon établit que l’âme n’est pas une harmonie, appartient en propre aux Pythagoriciens, car si Platon a dû beaucoup à Alcméon, l’opinion qui identifie l’âme avec le principe du mouvement a été soutenue par d’autres philosophes et on la retrouve même chez Socrate. Le cinquième argument appartient tout entier à Platon. Quant aux origines historiques du dogme de l’immortalité, tout en affirmant que c’est là une de ces croyances qui ont leur principe dans la nature même de l’esprit humain, M. Carrau estime que Platon s’est largement inspiré de l’orphisme, qu’il l’a épuré, spiritualisé, pour ainsi dire, à peu près comme un philosophe de nos jours qui voudrait bien du catholicisme, à la condition de rejeter les superstitions, les pratiques puériles, de donner un sens métaphysique au dogme et de ne retenir de la ferveur dévote que l’enthousiasme pour la perfection morale (p. 61).

Le chapitre III a une importance capitale pour l’histoire de la philosophie ancienne. M. Carrau, suivant la fortune des arguments du Phédon, expose avec ampleur les objections de Straton, qui n’occupe pas encore dans l’histoire la place qui lui revient et qui est l’ancêtre le plus authentique de l’école évolutionniste. Pour la première fois, à notre connaissance du moins, les réponses fort obscures d’Olympiodore, reproduisant sans doute l’enseignement de Proclus ou de Syrianus, ont été traduites en français, expliquées, commentées, et rendues aussi