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intelligibles qu’il le faut pour comprendre ces doctrines subtiles et d’une dialectique si serrée et si fine.

Les trois premiers chapitres du livre appartiennent à l’histoire ; le quatrième est dogmatique et consacré à rechercher ce que renferment d’essentiel les arguments du Phédon et quelles raisons on en peut tirer encore aujourd’hui pour croire à une vie future. M. Carrau trouve que ni le premier ni le second des arguments des contraires ne prouvent rien quant à l’immortalité de la personne ; mais il fait honneur à Platon d’une intuition profonde, que renferme implicitement le premier argument des contraires, à savoir que la quantité de mouvement est constante. Il rapproche la théorie de Platon de celle de Buffon qui soutenait que la quantité de vie est toujours la même dans la nature et ne pense pas que cette dernière ait été détruite. Il conclut que partout où il y a conscience réfléchie et mouvement délibéré, il faut une âme, une énergie toujours tendue et indivisible en son essence, une monade. Il y a donc un nombre limité d’âmes éternelles, sans qu’on soit obligé d’accepter la métempsycose ou même la palingénésie des âmes humaines : on peut en effet supposer que les âmes qui ont déjà traversé la vie humaine sont appelées à des conditions d’existence supérieures ou différentes, que les générations nouvelles se recrutent, comme le pensait Leibnitz, au moyen de monades d’élection dont les facultés psychiques, latentes jusque-là, se développeraient à mesure que les circonstances organiques ou cosmiques leur deviendraient favorables. Mais l’objection de Cébés est aussi redoutable pour le spiritualisme moderne que pour celui de Platon : si toute force, individuelle ou spécifique, est limitée, qui nous assure que la force intelligente et libre ne s’épuise pas aussi ? On répondra qu’une substance simple ne saurait être réduite que par un décret de Dieu ; mais pensons-nous savoir ce qui est conforme ou contraire à la sagesse de Dieu ? On invoquera le principe de Spinoza, tout être tend à persévérer dans l’être, mais cette proposition n’exprime qu’un fait et il n’est nullement nécessaire que l’ordre universel soit conforme à cette tendance. Que si l’on se souvient que pour Platon le semblable ne connaît que le semblable, que l’âme a connu autrefois les essences éternelles, on aura une preuve qui présentera beaucoup d’analogie avec celle de Bossuet tirée des vérités éternelles, mais qui sera insuffisante encore à établir l’immortalité de la personne, car la raison contemplative est loin d’être l’essence de notre être, de constituer notre caractère, notre valeur morale, notre moi. Si l’on considère que pour Platon la volonté, mue par un idéal de perfection morale, est l’essentielle condition de la vie philosophique, que cet idéal est unique et immuable pour qui ne voit en lui que ce caractère de s’imposer obligatoirement à l’activité libre, qu’il existe sans tomber sous la loi du temps et de l’espace, qu’il est éternel, absolu, inconditionnel, que l’activité qui s’y conforme en prend véritablement la nature, qu’en obéissant à l’obligation d’être chaste, par exemple, je me fais sem-