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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

malheureuse y comprît rien, la contracture passa du bras droit au bras gauche, puis revint au bras droit et disparut entièrement. Autre exemple analogue : Un jeune marin de dix-neuf ans, Lem…, atteint d’hystéro-épilepsie et anesthésique de presque tout le corps, reçoit dernièrement un choc assez violent au bas de la poitrine. Il n’eut en réalité aucun mal, mais il plia sous le choc et resta complètement courbé en avant dans la position la plus pénible ; M. le Dr Pillet, médecin-major de l’hôpital, me permit obligeamment de l’examiner. Tous les muscles antérieurs de la poitrine et de l’abdomen étaient contracturés, on ne pouvait le redresser et cette pénible situation durait depuis un mois. Il fut hypnotisé en un instant par une compression légère des yeux et il me suffit alors de quelques mots pour le redresser entièrement. Sans doute l’extension violente des muscles, le choc pourrait être considéré comme cause suffisante de la contracture, mais je me demande pourquoi la contracture n’envahit les muscles que jusqu’au degré strictement suffisant pour conserver aux membres leur position expressive, comment tant de muscles et de nerfs peuvent combiner leur action d’une manière permanente sans aucune unité, aucune direction, qui explique cette systématisation, pourquoi enfin ces contractures cèdent si facilement à une action purement morale, s’il n’y a en elles rien de moral. Ne semble-t-il pas naturel de rapprocher ces phénomènes des actes inconscients persistants que nous avons observés chez N… et chez B… ? Reconnaissons cependant que nos observations ne sont pas suffisantes pour justifier cette explication qui reste une simple hypothèse.

L’acte inconscient par suggestion posthypnotique peut enfin se présenter sous une troisième forme. Voulant répéter l’une des expériences précédentes, je commande encore une fois à N… de faire sa prière au réveil. Les mains se rapprochent inconsciemment, mais elles ne se raidissent pas comme tout à l’heure. N…, dès qu’elle veut faire un mouvement volontaire, les enlève de leur position et les remue très facilement. Rien ne paraît plus subsister de la suggestion. À ce moment on demande à N… de mettre ses mains en prière : elle refuse d’abord, trouvant la demande ridicule, enfin elle essaye en plaisantant, mais elle ferme les poings au lieu d’étendre les mains. Tiens, dit-elle avec agacement, je ne sais plus mettre mes mains en prière. Ah ! comme cela. » Et elle croise les doigts. « Non, lui dit-on, les mains jointes comme les statues dans les églises. — Je sais bien ce que c’est, fait-elle en interrompant, mais je ne sais plus comment on s’y prend. » Ce langage rappelle naturellement celui de l’aphásique qui a perdu la faculté d’écrire ; mais chez celui-ci la faculté est détruite, chez l’hystérique elle n’est que dissociée.