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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

gestion par distraction avait un très grand pouvoir sur L. ; elle pouvait même s’opposer à sa volonté consciente. L. étant bien éveillée, le Dr Powilewicz lui demande de chanter quelque chose ; elle refuse énergiquement. Je murmure derrière elle : « Allons, vous chantez, vous chantez quelque chose. » Elle arrête sa conversation et chante un air de Mignon, puis reprend sa phrase, convaincue qu’elle n’a pas chanté et qu’elle ne veut pas chanter devant nous. Notons aussi que ce genre de suggestion n’existe chez L. que lorsqu’elle est malade. N. présente ce phénomène à un degré remarquable ; mais elle est très élective, même dans ce genre de suggestion. Si un autre que moi lui parle par derrière quand elle est distraite, elle n’obéit point. M.[1] obéit moins à la suggestion par distraction, elle n’exécute ainsi que des mouvements des bras fort simples, mais elle présente dans ce cas une anesthésie auditive très grande. Pendant qu’elle parle à mon frère, je puis commander à haute voix derrière elle et même crier sans qu’elle entende ; son ouïe est cependant normale pour la personne qui attire son attention.

Mais il est plus intéressant de présenter ces mêmes faits sur un sujet d’un tout autre genre. Les sujets précédents sont des femmes hystériques, éveillées sans doute, mais qui ont été fréquemment hypnotisées auparavant. Il s’agit cette fois d’un homme, P., âgé de quarante ans, que nous n’avons aucune raison pour considérer comme hystérique et qui n’a jamais été hypnotisé. P. est amené à l’hôpital dans le service du Dr Powilewicz, pour une attaque de délire alcoolique. Le docteur, remarquant chez lui une grande aptitude à ces suggestions que nous étudiions ensemble, eut l’obligeance de me prévenir. Quand je vins observer le malade, il était déjà en pleine convalescence, il se levait, parlait avec bon sens et ne délirait guère que la nuit. Pendant que le médecin lui parlait et lui faisait expliquer certains détails de sa profession, je me mis derrière lui et lui commandai de lever le bras. La première fois, il me fallut toucher le bras pour provoquer l’acte ; l’obéissance inconsciente eut lieu ensuite sans difficulté. Je le fis marcher, s’asseoir, s’agenouiller, le tout sans qu’il le sût ; je lui dis même de se coucher à plat ventre et il tomba immédiatement, mais sa tête se levait encore pour répondre aux questions du docteur. Celui-ci lui dit : « Comment vous tenez-vous donc pendant que je vous parle ? — Mais, fit-il, je suis debout près de mon lit, je ne bouge pas. — Vous ne voyez donc pas comme

  1. Une jeune femme hystérique, que j’ai étudiée à la Pitié avec mon frère, interne à l’hôpital. Elle a présenté, outre les crises et une anesthésie presque totale, un phénomène de dysphagie hystérique fort curieux : elle ne pouvait manger qu’en somnambulisme.