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vous êtes devenu petit ? — Oh, j’ai toujours été plus petit que vous, mais je ne suis pas plus petit qu’à l’ordinaire. » Je ne pouvais croire qu’un homme dans son bon sens, car il ne délirait pas, et bien éveillé pút croire être debout, quand il était couché par terre sur le ventre. En réalité il y avait une sorte d’hallucination qui venait se joindre à l’anesthésie systématique pour produire cet acte singulier. Je le fis relever, je lui commandai d’écrire son nom, lui suggérai même de faire une multiplication par écrit. La main écrivit les chiffres et commença à son insu le travail, il est vrai avec une erreur. Mais P. s’arrêta subitement, porta les mains à sa tête en disant : « Oh, je ne sais ce que j’ai… j’ai un affreux mal de tête. Je cessai les expériences et la migraine se dissipa. Le lendemain, quand je voulus recommencer l’étude, cette disposition du malade aux actes inconscients avait beaucoup diminué. Les illusions ne duraient qu’un moment ; deux jours après, tout avait disparu. Le délire alcoolique avait cessé et avec lui la dissociation. N’est-il pas curieux que l’alcoolisme mette un homme pendant quelques jours dans une situation psychologique absolument identique à celle d’une hystérique, et qu’il y ait une pareille analogie morale entre ces deux dégénérescences ? Sans insister sur cette comparaison, considérons les expériences faites avec P. comme un bon exemple des actes inconscients par distraction, puisque ce malade n’a été hypnotisé ni avant ni après les expériences, et que la suggestibilité résulte ici du seul fait de la dissociation.

IV

Actes inconscients spontanés. — Les actes inconscients précédemment étudiés avaient toujours été le résultat d’une suggestion faite soit pendant l’état de somnambulisme, soit pendant la veille elle-même. Je ne pensais pas que la personnalité inconsciente, si tant est qu’elle méritât ce nom, pût accomplir des actions spontanées et réclamer comme nous la dignité du libre arbitre. Un incident de mes études somnambuliques vint me détromper. B., tout à fait ignorante quand j’ai commencé à l’étudier, avait appris depuis à lire et à écrire passablement ; dans un de ses derniers séjours au Havre, j’avais profité de ses nouvelles connaissances pour lui faire écrire pendant la veille quelques mots ou quelques lignes inconsciemment, mais je l’avais renvoyée sans lui rien suggérer de plus. Elle avait quitté le Havre depuis plus de deux mois quand je reçus d’elle la lettre la plus singulière. Sur la première page se trouvait une petite lettre d’un ton sérieux et convenable. « Elle était indisposée, disait-elle,