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P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

plus souffrante un jour que l’autre, etc., » et signait de son nom véritable, femme B. Mais sur le verso commençait une autre lettre d’un tout autre style et que l’on me permettra de reproduire à titre de curiosité : « Mon cher bon monsieur, je viens vous dire que B. tout vrai tout vrai me fait souffrir beaucoup, elle ne peut pas dormir, elle a vomi du sang beaucoup, elle me fait bien du mal ; je vais la démolir, elle m’embête, je suis malade aussi et bien fatiguée, c’est de la part de votre bien dévouée Léontine. » Quand B. fut de retour au Havre je l’interrogeai naturellement sur cette singulière missive : elle avait conservé un souvenir très exact de la première lettre, elle pouvait m’en dire encore le contenu, elle se souvenait de l’avoir cachetée dans l’enveloppe et même des détails de l’adresse qu’elle avait écrite avec peine ; mais elle n’avait pas le moindre souvenir de la seconde lettre. Je m’attendais d’ailleurs à cet oubli : ni la familiarité de la lettre, ni la liberté du style, ni les expressions employées, ni surtout la signature n’appartenaient à B. dans son état de veille. Tout cela appartenait au contraire au personnage inconscient qui s’était déjà manifesté à moi par bien d’autres actes. Je crus d’abord qu’il y avait eu une attaque de somnambulisme spontané entre le moment où elle terminait la première lettre et l’instant où elle cachetait l’enveloppe. Le personnage inconscient qui savait l’intérêt que je prenais à B. et la façon dont je la guérissais souvent de ses accidents nerveux, aurait apparu un instant pour m’appeler à son aide. Le fait était déjà fort étrange, mais depuis, ces lettres inconscientes et spontanées se sont multipliées et j’ai pu étudier mieux leur production. Fort heureusement, j’ai pu surprendre B. une fois, au moment où elle accomplissait cette singulière opération. Elle était près d’une table et tenait encore de la main gauche le tricot auquel elle venait de travailler. Le visage était fort calme, les yeux regardaient en l’air avec un peu de fixité, mais elle n’était pas cataleptique, car elle chantait à demi-voix une ronde campagnarde ; la main droite écrivait vivement et comme à la dérobée. Je commençai par lui enlever son papier à son insu et je lui parlai ; elle se retourna aussitôt bien éveillée, mais un peu surprise, car, dans son état de distraction, elle ne m’avait pas entendu approcher. « Elle avait, disait-elle, passé la journée à tricoter et elle chantait, car elle se croyait seule. » Aucune connaissance du papier qu’elle écrivait. Tout s’était passé exactement comme nous l’avons vu pour les actes inconscients par distraction, avec cette différence importante que rien n’avait été suggéré.

Cette forme de l’inconscience n’est pas aussi facile à étudier que les autres, étant spontanée elle ne peut être soumise à une expé-