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rimentation régulière. Voici quelques remarques seulement que le hasard m’a permis de faire. D’abord, l’inconscient qui écrit ces lettres, appelons-le ainsi jusqu’à nouvel ordre, est intelligent, il montre dans ce qu’il écrit beaucoup de mémoire : une lettre contenait le récit de l’enfance même de B. ; il montre du bon sens dans des remarques ordinairement justes. Voici même un exemple de perspicacité inconsciente, comme disait M. Richet. L’inconscient s’aperçut un jour que le personnage conscient B. déchirait les papiers qu’il écrivait, quand il les laissait à sa portée après la fin de la distraction. Que faire pour les conserver ? Profitant d’une distraction plus longue de B. il recommença sa lettre, puis alla la porter dans un album de photographies. Cet album, en effet, contenait autrefois une photographie de M. Gibert, qui par association d’idées avait la propriété de mettre B. en catalepsie. Je prenais la précaution de faire retirer ce portrait, quand B. était dans la maison. Mais l’album n’en conservait pas moins sur B. une sorte d’influence terrifiante. L’inconscient était donc sûr que ses lettres mises dans l’album ne seraient pas déchirées par B. Tout ce raisonnement n’a pas été fait en somnambulisme, je le répète, mais à l’état de veille et inconsciemment. B. distraite chantait ou rêvait à quelques pensées vagues pendant que ses membres, obéissant à une volonté en quelque sorte étrangère, prenaient ainsi des précautions contre elle-même. L’inconscient profite ainsi de toutes ses distractions. Elle se promène seule dans les rues et imprudemment s’abandonne à ses rêveries ; elle est toute surprise quand elle fait attention à son chemin de se trouver dans un tout autre point de la ville. L’inconscient avait trouvé spirituel de l’amener à ma porte. La prévient-on par lettre qu’elle peut revenir au Havre, elle s’y retrouve sans savoir comment elle est venue. L’inconscient, pressé d’arriver, l’a fait partir sans bagages et le plus vite possible.

Enfin ces actes inconscients spontanés me paraissent avoir les mêmes caractères que les actes provoqués, ils amènent dans la conscience normale un vide particulier, une anesthésie systématique. B. étant venue souvent chez moi, je croyais qu’elle connaissait bien mon adresse : je fus bien étonné en causant un jour avec elle pendant l’état de veille de voir qu’elle l’ignorait complètement, bien plus qu’elle ne connaissait pas du tout le quartier, quoiqu’elle y passât fort souvent : l’inconscient ayant pris pour lui toutes ces notions, le conscient ne parvenait pas à les posséder.

Il faut connaître de très près la vie d’une personne pour surprendre de pareils actes ; je suis disposé à croire que dans la vie d’une hystérique, il y en a sans cesse en grand nombre. Leurs actions ne sont