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ne doit pas spécifier des moments où la suggestion maladroite est dangereuse et des moments où elle ne l’est pas ; il doit toujours la craindre également. Les hystériques sont presque aussi suggestibles à l’état de veille qu’en somnambulisme, et si les études sur l’inconscience ont été poussées jusque-là, il n’y a pas de raison sérieuse pour les laisser incomplètes. La méthode expérimentale recommande de pousser jusqu’au bout les expériences, « producere experimentum. » Nous avons vu les effets de la distraction, ne faut-il pas voir les effets du sommeil, qui est la plus puissante des distractions ?

D’ailleurs lorsqu’on étudie les actes inconscients, le sommeil hypnotique ne peut pas toujours être évité ; il s’impose quelquefois de lui-même. J’avais déjà remarqué que deux sujets, L. et B., s’endormaient fréquemment malgré moi au milieu d’expériences sur les actes inconscients à l’état de veille, mais j’avais rapporté ce sommeil à ma seule présence et à leur habitude du somnambulisme. Le fait suivant me fit revenir de mon erreur.

M. Binet avait eu l’obligeance de me montrer un des sujets sur lesquels il étudiait les actes inconscients par anesthésie et je lui avais demandé la permission de reproduire sur lui la suggestion par distraction. Les choses se passèrent tout à fait selon mon attente : le sujet (Hab.) bien éveillé causait avec M. Binet ; placé derrière lui, je le faisais inconsciemment remuer la main, écrire quelques mots, répondre à mes questions par signes, etc. Tout d’un coup Hab. cessa de parler à M. Binet et, se retournant vers moi, continua correctement par la parole la conversation qu’elle avait commencé avec moi par signes inconscients. D’autre part, elle ne parlait plus du tout à M. Binet et ne l’entendait plus : en un mot, elle était tombée en somnambulisme électif. Il fallut réveiller le sujet, qui naturellement avait tout oublié à son réveil. Or Hab. ne me connaissait en aucune manière, ce n’était donc pas ma présence qui l’avait endormie ; le sommeil était donc bien ici le résultat du développement de phénomènes inconscients qui avaient envahi, puis effacé la conscience normale. Le fait d’ailleurs se vérifie aisément. B. reste bien éveillée près de moi tant que je ne provoque pas de phénomènes inconscients ; quand ceux-ci sont trop nombreux et trop compliqués, elle s’endort. Ceci nous explique également un détail de l’exécution des suggestions posthypnotiques : tant qu’elles sont simples, le sujet les exécute inconsciemment en parlant d’autre chose, mais lorsqu’elles sont longues et compliquées, le sujet parle de moins en moins en les exécutant, finit par s’endormir et les exécute rapidement en plein somnambulisme.

Ce sommeil hypnotique provoqué par les actions inconscientes se