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Il faut en revenir au caractère principal donné par les anciens magnétiseurs. « Lorsqu’on a eu l’occasion de les observer, on reste convaincu qu’il y a deux vies bien distinctes ou du moins deux manières d’être dans la vie des somnambules[1], » Le somnambulisme en effet n’est pas un sommeil opposé à la veille, c’est un autre état de veille qui s’oppose à l’état de veille ordinaire. C’est un certain groupement, une certaine systématisation des phénomènes psychologiques qui est identique à celui qui forme le caractère et la personnalité ordinaires de l’individu.

Je serai tenté de dire avec Deleuze que l’oubli de tout ce qui s’est passé pendant le somnambulisme, lorsque l’individu est réveillé, est bien le caractère psychologique principal du somnambulisme. « Lorsqu’il rentre dans l’état naturel, il perd le souvenir de toutes les sensations, de toutes les idées qu’il a eues dans l’état de somnambulisme ; tellement que ces deux états sont aussi étrangers l’un à l’autre que si le somnambule et l’homme éveillé étaient deux êtres différents… Ce caractère seul est constant et distingue essentiellement le somnambulisme[2]. » Ajoutons seulement qu’il y a des degrés dans tous les phénomènes psychologiques, qu’il y a des somnambulismes légers et des oublis partiels, comme il y a des demi-inconsciences ; mais en laissant maintenant de côté les états intermédiaires, nous pouvons dire comme ces auteurs que le somnambulisme est une nouvelle existence psychologique.

Cette nouvelle synthèse de phénomènes conscients peut présenter tous les degrés et toutes les formes ; il serait très intéressant de montrer, si cette étude ne devait nous éloigner trop de notre sujet, que dans la vie somnambulique de différentes personnes, on trouve différents caractères et différentes intelligences comme pendant la vie normale de plusieurs personnes. Nous ne pouvons que faire rapidement quelques remarques générales, qui nous seront utiles pour expliquer les phénomènes inconscients de nos différents sujets. En général, la vie somnambulique d’une personne est plus rudimentaire que sa vie normale, c’est ce qui explique que la suggestibilité soit ordinairement plus grande pendant le somnambulisme que pendant la veille. Cependant on peut trouver chez différentes personnes tous les degrés de développement de la vie somnambulique. R., un garçon épileptique que j’endormais facilement, présente une vie somnambulique insignifiante. Il a alors un peu d’ouïe, mais c’est tout ; il ne comprend pas, par conséquent, il n’obéit pas aux suggestions et il

  1. Pigeaire, Puissance de l’électricité animale, 1839, p. 44.
  2. Deleuze, Histoire critique, 1819, t.  I, p. 187.