Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
revue philosophique

un intervalle de veille, sort-elle également du néant ? n’existe-t-elle en aucune façon pendant la veille de B. ? Si cela était, Léontine devrait se conduire comme B. et comme L., souder les différents moments de son existence et ne pas croire à leur interruption, ignorer les actions accomplies pendant la veille et la vie de la personne réelle. On sait qu’il n’en est pas ainsi : Léontine sait très bien que je ne l’ai pas amenée pendant trois mois, elle connaît B. qu’elle trouve assez bête et me raconte minutieusement la vie de B. pendant cet intervalle. Le personnage somnambulique devait donc exister en quelque façon pendant la veille, il a été mis au jour et non pas créé par le sommeil hypnotique.

VI

J’ai raconté une suggestion qui avait été faite à B. pendant le somnambulisme et qui avait été exécutée inconsciemment pendant la veille. Le lendemain le sujet endormi, en état de Léontine par conséquent, me dit spontanément : « Eh bien, j’ai bien fait ce que vous m’aviez dit hier… l’autre avait-elle l’air assez bête pendant que je lui ôtais son tablier ?… Pourquoi l’avez-vous prévenue que son tablier tombait… j’ai été obligée de recommencer. » Dans ces paroles qui furent spontanées, comme je l’ai dit, nous devons remarquer plusieurs choses : Léontine se souvenait de l’exécution de la suggestion qui avait été complètement inconsciente pour B. On pourrait dire que Léontine se souvenait du commandement fait pendant le somnambulisme précédent plutôt que de l’exécution même ; mais ici, et c’est pour cela que j’ai choisi le récit de cette suggestion entre mille autres, l’exécution fut caractérisée par un détail qui n’avait pas été prévu dans le commandement. B. s’était aperçue de la chute de son tablier et l’inconscient avait recommencé l’acte deux fois, et c’est de cet incident que Léontine se souvenait fort bien. Il en est ainsi toujours ; quand on donne une suggestion à un sujet pendant le somnambulisme, c’est d’abord le personnage somnambulique qui l’accepte. Cette acceptation est plus ou moins facile à obtenir selon que cette personnalité est plus ou moins rudimentaire.) C’est le même personnage qui l’exécute à l’insu de la personne éveillée et enfin c’est encore lui qui en garde le souvenir. Un jour je venais de commander à Léontine une série d’actions assez compliquée pour le lendemain et je voulais la réveiller. Elle m’arrêta en disant : « Pas encore… tout à l’heure, » puis mettant ses mains au front comme pour réfléchir elle récita à voix basse les suggestions que je venais de faire :