Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXV, 1888.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
P. JANET.actes inconscients dans le somnambulisme

mandai tout bas de faire des bouquets de fleurs pour les offrir aux personnes qui l’entouraient. Rien n’était curieux comme de voir sa main droite ramasser une à une des fleurs imaginaires, les déposer dans la main gauche, les bien disposer en bouquet, les lier avec une ficelle aussi réelle et les offrir gravement, le tout sans que Léontine s’en fût doutée ou ait interrompu sa conversation. J’ai pu de même faire une sorte de conversation avec cet inconscient comme pendant la veille. Il suffisait de lui commander de me serrer la main pour répondre « oui » et de me la secouer pour répondre « non », ou mieux encore de commander l’écriture automatique qui avait lieu pendant le somnambulisme de la même manière que pendant la veille.

Mais ces phénomènes ont déjà été décrits et ils ont maintenant les mêmes caractères ; j’aime mieux insister sur quelques détails nouveaux. La liberté de l’inconscient est maintenant plus considérable, il n’obéit plus toujours et quelquefois même refuse énergiquement et par écrit de faire ce qu’on lui demande. L’inconscient peut même se fâcher contre moi et refuser toute réconciliation, tandis que Léontine ignorant le drame qui se passe au-dessous d’elle cause amicalement avec moi.

Les actes spontanés de l’inconscient peuvent aussi revêtir une forme très singulière qui, si elle était mieux connue, servirait peut-être à mieux expliquer certaines folies. B. avait eu pendant le somnambulisme une sorte de crise d’hystérie, elle s’agitait et criait sans qu’il me fût possible de la calmer. Tout d’un coup elle s’arrête et me dit avec terreur : « Oh ! qui donc me parle ainsi,… cela me fait peur. — Personne ne vous parle, je suis seul avec vous. — Mais si, là à gauche. » Et la voici qui se lève et veut ouvrir une armoire à sa gauche pour voir si quelqu’un y est caché. « Qu’est-ce que vous entendez donc ? lui dis-je. — J’entends à gauche une voix qui répète assez, assez, tiens-toi donc tranquille, tu nous ennuies. » Certes la voix qui parlait ainsi était dans son droit, car Léontine était insupportable ; mais je n’avais rien suggéré de pareil et ne pensais guère à lui faire à ce moment une hallucination de l’ouïe. Un autre jour Léontine était cette fois bien calme, mais elle refusait obstinément de répondre à ce que je lui demandais. Elle entendit encore avec terreur la même voix à gauche qui lui dit : « Allons, sois donc sage, il faut dire. » L’inconscient lui donnait ainsi quelquefois de bons conseils.

Les actes inconscients obtenus de cette manière pendant le somnambulisme semblent être de même nature que ceux qui ont été obtenus pendant la veille et être associés avec eux. Ils se présentent