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B. PEREZ.l’art chez l’enfant

sait aux images du miroir que dans ses moments d’ardeur amoureuse : alors elle grattait obstinément les glaces, et, par un effet d’association d’idées, les vitres des fenêtres et le marbre des cheminées. Quant aux sauvages, un peu supérieurs, il faut le dire, à ces animaux, si on leur montre un miroir, ils se mettent à rire, ils témoignent d’une certaine surprise, mais passagère, et sans aucun mélange de curiosité intellectuelle.

Voyons maintenant quelle est la conduite de l’enfant dans les mêmes circonstances. Un des fils de Darwin, vers l’âge de quatre mois, aimait beaucoup se regarder au miroir. Vers l’âge de sept mois, il comprenait parfaitement, dit son père, que ce n’était là qu’une image ; car si ce dernier faisait quelque grimace, l’enfant se retournait aussitôt pour le regarder. Au début, il poussait devant le miroir un Ah ! de surprise, comme s’il reconnaissait quelqu’un. Il avait associé, avant l’âge de neuf mois, le souvenir de son nom avec son image dans le miroir ; quand on l’appelait par son nom, il se tournait vers la glace.

Preyer a noté chez son propre fils des manifestations analogues. Avant le cinquième mois, le sourire de l’enfant ne semblait provoqué que par l’éclat de l’image. La perception parut beaucoup plus nette du cinquième au sixième mois : il rit à son image comme à une personne. Ayant vu, à l’âge de six mois, l’image de son père, il devint très attentif, et se retourna tout à coup vers lui, « comparant », évidemment, dit Preyer, « l’original et l’image. » À sept mois, à dix mois encore, il rit à son image, il la regarde avec intérêt, il tend la main vers elle, et s’étonne de ne pouvoir la saisir. Après quatorze mois, il voit sa mère dans la glace, et comme on lui demande : Où est maman ? il montre l’image dans la glace et se retourne vers sa mère, en lui riant[1].

Ainsi, au quatorzième mois, l’image est bien décidément reconnue comme telle. L’étonnement a disparu ; le plaisir n’a pas diminué, mais il a changé de nature. L’enfant jouit moins de l’éclat des couleurs, et peut-être de la contemplation des formes représentées. Il fait des mines, il en fait faire à ses parents, devant la glace. Les images du miroir ne sont plus pour lui que des réalités secondaires. L’illusion du réel n’y est plus, et l’illusion de l’idéal n’y est pas encore.

Un de mes amis, de passage à Pau avec sa femme et sa fille, âgée de dix-huit mois, descendit de bonne heure à la salle à manger de son hôtel, situé sur la place Henri. Toutes les fenêtres étaient ouvertes :

  1. L’Ame de l’enfant, pp. 442-446.