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B. PEREZ.l’art chez l’enfant

il s’exerça longtemps à les imiter ; il étudia de près les machines, et il s’habitua à les dessiner de souvenir, comme il l’avait vu faire à son oncle. À neuf ans, il les dessinait à merveille. Mais il ne fallait pas le tirer de ses locomotives ; il n’aimait, ne dessinait pas autre chose. Un jour, sa grand’mère, pour le plaisanter, lui demanda son portrait. Il la fit montrant sa tête à la portière d’un wagon de première classe, précédé de son inévitable locomotive. « Le wagon est très ressemblant, dit la grand’mère ; mais suis-je aussi mal peignée, aussi mal fagotée que cela ? C’était bien la peine de me mettre en voiture de première classe ! » Il se découragea, et ne dessina même plus de locomotives.

À quelque temps de là, son oncle vint à son aide et répara le mal qu’il lui avait involontairement fait. Il l’emmena en promenade à diverses reprises, et de temps en temps lui faisait observer quelque chose de particulier dans un visage, un vêtement, un arbre, un animal, une maison. Le soir, il lui demandait compte de ces observations, et le lendemain il le priait de lui en rappeler quelques-unes en quelques coups de crayon. L’enfant s’habitua ainsi à retrouver dans sa mémoire l’expression des visages et des attitudes, la forme caractéristique des objets, et jusqu’à la composition d’une scène vue en passant. Il fut surpris d’abord, il faut le dire, des éloges que son oncle prodiguait à ces ébauches, selon lui mal venues ; il ne comprenait que les lignes régulières et symétriques : ses bonshommes d’autrefois semblaient faits au compas. « Je sais bien que voilà un arbre pour rire, disait-il à son oncle ; la figure de ce soldat ressemble bien à celle que nous avons vue, mais est-ce un sabre ou un bâton, est-ce un képi ou une vieille casquette ? — Qu’importe, si c’est dans le mouvement ? » Bon gré mal gré, l’enfant comprit la valeur d’un à peu près significatif ; le petit géomètre fit place au dessinateur. Il apprit à voir et à reproduire les aspects singuliers des choses, à achever, à préciser quelques détails essentiels, tout en posant l’ensemble avec justesse, à créer et à transformer en copiant, à unir le réel et la fantaisie, à travailler au besoin de verve, en un mot, à jouer avec son crayon. « Tu peux aller, lui disait son oncle un an plus tard ; soigne bien tes dessins au collège : c’est un devoir ; mais, à la maison, fais des dessins pour te distraire. Continue à reproduire exactement ce qui t’a frappé, la bouche et le bras et la jambe d’un homme irrité ou joyeux, la forme d’une maison ou d’un arbre, sans trop faire attention au reste. Ne crains pas de représenter les choses comme tu les vois au premier coup d’œil, ou comme tu crois, ou plutôt comme tu veux les voir. Regarde et choisis, compose et imagine : tu seras toujours assez exact et assez précis. »