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Hélène, déjà connue de nos lecteurs, arriva tout de suite de la passion des images au désir de les imiter. Nous négligeons l’histoire de ses progrès pour nous attacher à quelques points intéressants de ses confidences.

« De neuf à dix ans, me dit-elle, j’écoutais beaucoup, quand on parlait devant moi de beauté. Je me fis même, d’après ces conversations, un idéal qui persista longtemps : des cheveux très noirs sur une peau blanche, des yeux noirs, grands et profonds, un nez un peu couché sur une bouche aux lèvres bien rondes, un type espagnol ou italien. À cet âge-là, je commençai à remarquer l’élégance de la tenue et de la démarche, les détails de la toilette et les caprices de la mode. Mes dessins reproduisaient tout cela avec autant de vérité que possible.

« Ces dessins étaient les portraits grossièrement ressemblants des personnes qui étaient à ma convenance, la répétition de ce que j’avais griffonné sur mes cahiers, mais avec un peu plus de goût. Deux demoiselles, qui étaient, à mes yeux, le type de la beauté, y étaient représentées dans plusieurs toilettes. Pour si occupée que je fusse, je me mettais à la fenêtre quand elles devaient passer. Quelques jolies paysannes faisaient aussi mon bonheur, quand le hasard me les faisait rencontrer. À l’église, j’étais plus occupée à regarder les minois qui m’entouraient, qu’à lire dans le paroissien que je tenais dans les mains, ouvert toujours à la même page. Un jour, étant allée au marché avec ma mère, je fus vivement attirée par une figure de femme comme je les aimais, et d’une beauté comme je n’en avais pas encore vue. Je restai là, bouche béante ; ma mère, voyant que je ne me décidais pas à la suivre, me dit : « Adieu, je te laisse. » Et je demeurai un peu plus. »

Remarquez ce besoin si précoce chez la jeune fille, et assez rare chez le garçon, de se faire un idéal de beauté. Ainsi George Sand, encore fillette, avait réuni toutes ses aspirations d’amour, de beauté, de force, de vertu, dans un demi-dieu, qu’elle appela Corambé, et dont elle suivit longtemps dans sa pensée le mystique roman. Hélène, qui sait mieux combiner la réalité avec le rêve, active non moins que contemplative, s’est formé un idéal de beauté simplement humaine, ou artistique. Elle dessine de préférence les personnes qui se rapprochent de cet idéal, qui le réalisent à ses yeux. Peut-être cet idéal n’est-il pas autre chose que le souvenir épuré et embelli de quelques-unes de ces personnes. Quant à cette impression saisissante qui la fait s’arrêter en chemin devant une femme d’une rare beauté, ce n’est point là une qualité ou une faiblesse toute féminine. Il n’est point d’artiste ni de personne un peu sensible à