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ANALYSES.Bon V. Berger. Intuition de l’espace, etc.

Voyons maintenant quelle est, d’après Lange, l’origine de la notion. Il semble croire que la représentation d’une notion est due à la fantaisie. Mais cela étant vrai, le jugement créé par la fantaisie ne serait pas un jugement synthétique, comme Lange le veut, mais un jugement analytique. Car ma fantaisie ne me fournit pas des connaissances nouvelles, elle ne m’enseigne que ce que, au fond, j’ai déjà su implicitement.

Plus encore, le père du criticisme a-t-il raison de tenir les propositions mathématiques pour des jugements synthétiques ? Kant dit que les propositions mathématiques ne se fondent pas sur la loi de contradiction, mais sur l’intuition pure. Mais qu’est-ce que l’intuition pure ? Est-elle un fait de l’expérience interne, ou non ? Si elle ne l’est pas, comment savoir que les jugements synthétiques fondés sur cette intuition ont les caractères de nécessité et de généralisation ? Car, pour faire une telle affirmation, il faut avant tout que l’intuition nous soit donnée. Et peut-elle être donnée, sinon comme fait de l’expérience interne ?

Or, supposons que l’intuition nous soit donnée comme fait de l’expérience interne… Il suit alors que la nécessité prétendue des jugements synthétiques n’est que subjective et individuelle : car elle n’est qu’un fait de la structure de mon esprit.

En voulant montrer, ainsi que le fait Kant, que l’intuition d’espace doit être telle que je l’ai moi-même, par la raison qu’elle est une condition subjective de toute expérience, on déduit des jugements de la notion de l’intuition pure, de l’espace, de l’expérience…, ce qui signifie que les jugements ainsi formés sont analytiques.

Tous ces arguments ne suffisent pas pour réfuter les vues de Lange : il se peut, quoique tous ces jugements se fondent sur la loi de la contradiction, que cette loi même se fonde sur l’intuition d’espace : c’est là, en effet, l’opinion de Lange.

Pour lui « c’est un pléonasme de dire que la contradiction ne peut pas exister, comme s’il y avait derrière la cause du nécessaire une seconde nécessité ».

Le fait est que la contradiction n’existe pas. L’annulation réelle de la négation par l’affirmation est, eu égard à la logique, la dernière cause de toutes les règles.

Cependant, parce que nous ne sommes pas capables, ensuite de l’expérience, de réunir deux jugements, nous n’avons pas raison de les tenir pour incompatibles. Et Lange même parle d’une loi naturelle de l’incompatibilité du contradictoire ! Mais la conscience de l’incompatibilité ne se peut pas faire par expérience : elle ne peut résulter que de la loi de la contradiction.

Comment savoir ce que signifient le « Oui » et le « Non », si l’on ne sait que le « Oui » et le « Non » se contredisent, et qu’on ne puisse affirmer et nier la même chose ?

« Nous voyons, dit Lange, par une image d’espace d’un genre quelconque, que je ne puis affirmer et nier la même chose dans le