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ESPINAS.l’évolution mentale chez les animaux

caractère d’utilité qu’elles revêtent et leur adaptation aux besoins de la vie, le progrès en un mot ? Tout système cosmologique est obligé de présenter une théorie des harmonies si évidentes de la nature et de cette étonnante convergence des phénomènes en vue des exigences de la vie. Le système de l’évolution y était peut-être plus expressément obligé que tout autre, sans quoi le ressort et le plan eussent manqué à la fois au vaste processus qu’il déroule. M. Romanes reconnaît (p. 258) que la pensée de Spencer est empreinte dans toutes ses démarches d’une logique sévère ; si le philosophe eût omis ce souci, n’aurait-il pas manqué aux règles élémentaires de la logique ? M. Romanes paraît avoir oublié que des chapitres entiers des Premiers principes sont consacrés à montrer qu’à côté du passage de l’homogène à l’hétérogène s’observe toujours un passage de l’indéfini au défini, qu’une concentration se fait toujours en même temps qu’une différenciation dans tout agrégat de matière en voie ascensionnelle et que par suite tout être tend à se faire le centre du monde, tourne à son profit dans la mesure de ses forces les conditions du milieu. M. Romanes a oublié également que Spencer s’est efforcé de rattacher ce finalisme immanent au mécanisme dont il n’est qu’une expression et à la loi de la persistance de la force. Il ne saurait entrer dans notre dessein de discuter la valeur de cette hypothèse ; nous rappelons qu’elle existe et nous croyons voir qu’elle embrasse le problème de la genèse des instincts sous ses aspects généraux avec beaucoup plus de force que la théorie de la sélection. (Cf. les chapitres XVI, XVII et XXI.)

Les vues de M. Romanes sont très ingénieuses et très justes dans le détail ; mais une doctrine générale, une idée synthétique n’eussent pas nui à la précision de ses analyses. L’instinct est en somme expliqué selon lui par deux principes : la sélection mécanique d’une part est invoquée pour rendre compte des instincts primaires, l’intelligence d’autre part pour rendre compte des instincts secondaires. Mais si l’intelligence régressive (lapsing intelligence, ce que Wundt appelle Ruckverwandlung[1]) se trouve présenter les mêmes caractères que l’excitation sensorielle et perceptive, en d’autres termes si la volonté se confond, une fois dégradée par l’habitude, avec l’instinct et même avec le réflexe, n’est-ce pas que les deux groupes de fonctions sont de même nature et ont même origine ?

Il semble tout simple de dire : cet acte est intelligent, donc il doit être adapté, intentionnel, utile ; pour les instincts supérieurs que la sélection explique malaisément, quand M. Romanes a constaté la

  1. Cf. Wundt, Psychologie physiologique, vol.  II, p. 472.