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JANET.introduction a la science philosophique

qu’il avait déjà conçu dans son esprit la possibilité de réduire l’idée de cause ou de pouvoir à une succession constante. Le problème de la communication des substances au xviie siècle est né lorsque les philosophes ont commencé à soupçonner que l’action et la réaction des substances pouvaient bien n’être autre chose que de simples concomitances d’actions simultanées.

Il en est de même dans l’ordre pratique. Colomb ne s’est aventuré à la recherche d’une terre inconnue que parce qu’il avait conçu l’hypothèse qu’il devait rencontrer l’Inde en marchant toujours vers l’ouest. Si l’on cherche le passage du pôle Nord, c’est parce qu’on croit à la possibilité d’une mer libre dans les environs du pôle.

Ainsi la philosophie n’est pas seulement une science de problèmes, elle est quelque chose de plus ; elle est une science d’hypothèses. Ce n’est pas la science d’un inconnu indéterminé ; c’est la science d’un inconnu déterminé. Ce qui fait son incertitude, ce n’est pas l’absence de solution ; c’est l’absence d’un critérium entre plusieurs solutions. Nous avons donc fait un pas, notre science a un contenu : ce contenu est, si l’on veut, mobile, flottant, inconsistant ; mais ce n’est pas un pur rien.

N’est-ce rien en effet qu’une hypothèse ? N’est-ce rien, devant un problème embarrassant et accablant, d’en entrevoir une solution possible ? N’y a-t-il pas là une satisfaction vraiment scientifique ? Rappelez-vous l’état de votre esprit lorsque vous sortez de la séance d’un habile prestidigitateur. Vous avez assisté à un tour d’adresse merveilleux. Il vous est impossible de le comprendre. Tout ce que vous imaginez pour l’expliquer est inadmissible : c’est une irritation pour l’esprit. Et cependant, dites-vous, il n’est pas sorcier. Il ne l’est pas ; mais c’est comme s’il l’était, puisque son secret vous échappe absolument. Imaginez maintenant que vous trouviez ou que l’on vous propose une explication plausible, vraie ou fausse, mais seulement possible, et qui rentre dans les conditions ordinaires de l’expérience. Cela suffit pour vous satisfaire, et calmer l’impatience de votre curiosité. Il vous suffit d’avoir une issue à vos doutes, un dénouement intelligible à cette intrigue ; vous êtes sûr que ce n’est pas de la magie. Que cette solution ou une autre soit la vraie, toujours est-il qu’il y en a une. Sans doute, vous le saviez auparavant ; mais vous le voyez bien plus clairement à l’aide d’une hypothèse. Si ce n’est pas la réalité, c’est au moins un symbole qui fixe les idées, et qui par là même tranquillise l’esprit.

Il y a plus. Dans un certain nombre de cas, il semble que l’on soit parvenu à circonscrire le nombre des hypothèses possibles. Par exemple, pour ce qui concerne l’origine du monde, les anciens