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disaient déjà : Le monde est ou l’œuvre du hasard, ou l’œuvre d’une nécessité aveugle, ou l’œuvre d’une providence ; or ce raisonnement est encore le même aujourd’hui. M. Herbert Spencer, énumérant de son côté toutes les hypothèses possibles sur l’origine du monde, dit également qu’il n’y en a que trois : le théisme, le panthéisme et l’athéisme. Voici comme il résume ces trois hypothèses : « Nous pouvons, dit-il, faire trois suppositions intelligibles sur l’origine de l’univers : ou bien qu’il existe par lui-même, ou qu’il se crée lui-même, ou qu’il est créé par une puissance extérieure. » Il ne serait pas difficile de faire cadrer ces trois explications avec les trois explications de l’antiquité. Admettons donc qu’il n’y ait que ces trois suppositions. N’est-ce pas savoir quelque chose que de savoir que, sur l’origine des choses, il n’y a que trois explications possibles ? Et si l’on dit qu’il y en a une quatrième, à savoir que nous n’en savons rien du tout, cette quatrième hypothèse répond à un autre problème : celui des limites du connaissable et de l’inconnaissable ; toujours est-il que, si l’on se renferme dans les bornes de l’esprit humain et de ses facultés, on sait à n’en pas douter qu’il n’y a que trois thèses possibles ; et savoir cela, c’est faire acte de science :

Cependant si la philosophie se bornait soit à des problèmes, soit à des hypothèses, elle ne sortirait pas de l’incertitude. Dans le premier cas, c’est l’incertitude illimitée ; dans le second cas, c’est l’incertitude limitée ; mais dans les deux cas, n’aurait-on pas le droit de dire : Une science qui ne porte que sur l’incertain est-elle une science ? N’y a-t-il donc rien de vrai, rien de fondé, rien de démontré en philosophie ? Si vraiment, et, pour l’établir, il n’est pas besoin de sortir des définitions précédentes. Toute hypothèse en effet repose sur un fait ; l’hypothèse est douteuse, mais le fait est certain. L’hypothèse de l’harmonie préétablie repose sur ce fait que souvent l’action et la réaction apparentes des choses se ramènent à un simple accord, c’est-à-dire à une correspondance de mouvements. C’est ainsi que, dans un orchestre, deux instruments ont l’air de se répondre l’un à l’autre, qui ne s’écoutent même pas, et pourraient ne pas s’entendre, mais dont chacun, attentif à la mesure, suivant sa propre partie, se trouve, grâce à la précision du compositeur, tomber juste au point où il devrait être s’il avait entendu l’autre et s’il voulait lui répondre. L’hypothèse de la sympathie repose sur ce fait que nous approuvons les choses auxquelles nous sympathisons. Par exemple, si quelqu’un aime la campagne et que nous l’aimions nous-même, nous disons qu’il a raison, quoique en principe on ne puisse pas dire que quelqu’un ait raison parce qu’il partage nos goûts. L’hypothèse de l’utilitarisme repose sur ce fait que souvent