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JANET.introduction a la science philosophique

notre intérêt coïncide avec notre devoir. L’hypothèse des idées platoniciennes repose sur ce fait que, dans les espèces vivantes, chaque individu est conforme au type de l’espèce, et semble avoir été tiré d’un moule commun. L’hypothèse des causes finales a pour origine ce fait que les organes ressemblent à des instruments préparés par l’art pour accomplir un certain effet. L’hypothèse de la vie future a pour base la distribution inégale du bonheur et du malheur, sans aucune proportion avec le mérite. Ce que l’on appelle les controverses en philosophie ne sont autre chose que des faits opposés à des faits. Les arguments, les objections, les réponses, les instances, les répliques, toute cette artillerie de la dialectique scolastique ne sont jamais qu’une série de faits exprimés sous forme abstraite, et dont il s’agit d’apprécier le nombre et la signification. Inutile d’ajouter qu’indépendamment des faits qui servent aux hypothèses, il y a encore en philosophie un grand nombre de faits qui existent pour eux-mêmes. Ainsi, lors même qu’elle renoncerait à ces problèmes et hypothèses que Jouffroy appelait « les questions ultérieures, » la philosophie demeurerait encore à titre de science de faits ; et ne fût-elle, comme on dit, qu’une science descriptive, une science descriptive est encore une science. Tout le monde sait en effet qu’en psychologie, en esthétique, en morale, il y a un grand nombre de faits qui ont été observés, décrits, classés ; cela au moins est du domaine du certain ; et lors même qu’elle ne s’élèverait pas plus haut, elle se présenterait au moins avec ce caractère positif d’être l’analyse des phénomènes de l’esprit humain.

Maintenant ces faits à leur tour ne sont-ils rien autre chose que des faits ? N’y, faut-il voir qu’une simple matière brute, sans signification, semblable à ces catalogues de faits dont parle Bacon et dont il nous a donné l’exemple dans son Sylva sylvarum ? Ces faits sont-ils fortuits, isolés, incohérents, sans constance, sans généralité, sans conditions régulières, en un mot sans lois ? De même que la nature, l’esprit n’a-t-il pas aussi ses lois ? De même que c’est une loi que les corps tendent vers le centre de la terre, n’est-ce pas aussi une loi que les hommes soient attirés par le plaisir et repoussés par la douleur ? Sans doute la philosophie ne peut prétendre comme la physique et l’astronomie à des lois mathématiques ; mais c’est précisément une question de savoir, et même c’est la question par excellence, si les lois mathématiques sont des lois absolues, s’appliquant à toute espèce d’êtres, ou seulement à la matière, de telle sorte qu’’imposer de telles lois à toute science, ce serait résoudre à priori et sans discussion le problème fondamental de la philosophie. Un tel procédé ne pourrait être facilement disculpé de l’imputation