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JANET.introduction a la science philosophique

prix qu’on la dédaigne, à quelque degré qu’elle se présente, parce qu’elle ne serait pas toute la vérité ? Toute science ne commence-t-elle pas par être une science de vérités partielles ? La physique, avant d’être arrivée à l’état synthétique où elle est aujourd’hui, n’a-t-elle pas été longtemps une science de faits et de lois, de faits incohérents et de lois isolées ? Ce sont là à la vérité des états provisoires et transitoires ; mais c’est par là qu’il faut passer pour s’élever plus haut. Supposez maintenant une science qui, par la difficulté et la complexité de ses problèmes, par la hauteur de son objet, ne soit encore arrivée (au moins dans sa partie positive et certaine) qu’à saisir des parcelles de vérité, des points de vue isolés, tantôt des faits, tantôt des lois, et des lois tantôt empiriques, tantôt rationnelles, cet ensemble de vérités même incohérentes, mais dont chacune serait solide séparément, ne serait-ce pas quelque chose” ? Et ainsi, à ce titre au moins, à savoir comme science de vérités partielles, la philosophie devrait subsister.

Regardons-y cependant de plus près. Les vérités que nous appelons partielles le sont-elles véritablement ? Les vérités philosophiques ne sont-elles pas enveloppées, entrelacées les unes dans les autres ? Ne se contiennent-elles pas les unes les autres ? L’étude de la plus humble sensation n’implique-t-elle pas la question de la conscience, celle de l’objectivité, celle de l’espace, du temps, celle de l’activité intellectuelle, celle du moi, en un mot la métaphysique tout entière ? La question de l’instinct n’implique-t-elle pas celle des limites de la conscience et de l’inconscience, du mécanisme et du dynamisme, de la volonté et de la liberté, de l’innéité et de l’hérédité ? En philosophie, rien de plus difficile que la séparation des questions. Aussi rien de plus superficiel que ces théories de morale indépendante, de psychologie indépendante, que l’on croit très scientifiques, et qui ne sont que des limitations conventionnelles commodes pour l’étude des questions. Ainsi, dans tous les problèmes philosophiques, la pluralité suppose l’unité ; et tout en reconnaissant que nous ne connaissons guère que des parties, c’est cependant le tout que nous apercevons dans chacune des parties. D’où cette nouvelle définition : La philosophie est la science partielle du tout, la science fragmentaire de l’unité.

Maintenant ces parties de vérité peuvent à leur tour être considérées à un autre point de vue ; puisqu’elles sont dans le tout et par le tout, elles ne sont pas seulement partielles, elles sont relatives au tout. Ce ne sont pas seulement des fragments, ce sont des degrés de vérité, et à ce titre des acheminements vers la vérité idéale. Que l’on considère en effet les choses à différents degrés de profondeur, cette