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doctrine peut être vraie à un certain degré, qui ne le sera plus à un degré supérieur. C’est ainsi que ces hypothèses qui nous paraissaient tout à l’heure devoir être exclues du rang de vérités, peuvent y rentrer à titre de vérités provisoires et relatives, représentant un certain étage des conceptions de l’esprit humain. Par exemple, la doctrine des atomes, qui peut être fausse comme explication finale de l’univers ; est peut-être vraie comme exprimant la première approximation que nous puissions avoir de l’essence de la matière. C’est dans ce sens que Leibniz répète partout que tout dans l’univers doit s’expliquer mécaniquement, mais que le mécanisme suppose la métaphysique. On peut donner beaucoup d’exemples de cette loi des étages de vérité. Ainsi, on est très porté aujourd’hui à tout expliquer par l’hérédité, même ce que nous appelions autrefois la raison pure. L’empirisme, vaincu par Kant, croit avoir pris sa revanche, et il a retrouvé outres ses prétentions grâce à cette merveilleuse ressource de l’hérédité, qui répond à tout. Supposons, si l’on veut, qu’il en soit ainsi. Toujours est-il que, si les principes sont héréditaires, c’est-à-dire acquis dans l’espèce, ils sont innés dans l’individu : car l’individu n’acquiert point par sa propre expérience ce qu’il tient de l’hérédité : S’il en est ainsi, on peut dire que la vieille doctrine des idées innées est en définitive celle qui a triomphé, et que la table rase a été définitivement vaincue ; car, même par l’hérédité, on n’arrivera jamais à un moment où rien n’aurait précédé, et où l’on rencontrerait une prétendue table rase, c’est-à-dire le pur indéterminé, le vide, le rien. En tout cas, si on restreint le problème à l’individu, comme c’était le cas par exemple entre Leibniz et Locke, on peut dire qu’il y a une vérité certaine, c’est qu’il y a des idées innées. Maintenant, que ces idées viennent d’une vie antérieure comme le pensait Platon, qu’elles soient la marque que Dieu a mise sur son ouvrage selon l’expression de Descartes, qu’elles soient la vision de Dieu lui-même comme dans Malebranche, enfin qu’on les explique historiquement par la transmission héréditaire : ce sont là des questions ultérieures. Toujours est-il qu’à l’étage où nous sommes placés, l’innéité est la vérité.

C’est là une vérité du même ordre, sauf le degré de précision, que celles qui existent dans les sciences. Serait-on admis par exemple à soutenir que les lois de l’affinité chimique ne sont pas des vérités sous ce prétexte que, si l’on pouvait pousser la recherche plus loin, ces lois se réduiraient peut-être à un cas particulier d’une loi plus générale et plus simple ? N’est-il pas évident que cette réduction ultérieure ne changerait en rien la vérité des lois actuelles ? C’est ainsi encore que les lois de la chute des corps découverte par Galilée n’en étaient pas moins des lois parfaitement certaines avant qu’on sût