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JANET.introduction a la science philosophique

qu’elles sont les conséquence de la loi newtonienne de la gravitation universelle ; et elles n’ont pas cessé d’être des lois aujourd’hui qu’on le sait. On continue à les enseigner pour elles-mêmes, et l’on peut les posséder parfaitement sans avoir fait jamais aucune étude d’astronomie. C’est une vérité d’un certain étage, qui se rattache à une autre vérité placée plus haut. Enseignons donc qu’en tant qu’il s’agit de l’individu, la loi est l’innéité, sauf à chercher ensuite si c’est une loi primordiale ou dérivée. Il en est de même des instincts, dont l’innéité ne peut pas être contestée plus que celle des idées.

Cette doctrine des étages et des degrés de vérité explique que l’on puisse soutenir à la fois le pour et le contre sans sophistique et sans contradiction. C’est ce qu’a montré Pascal ; et c’est ce qu’il appelle la méthode de « renversement du pour au contre », ou encore la méthode de « gradation ». Il en donne un exemple des plus ingénieux. « Le peuple, dit-il, honore les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière. Les dévots, qui ont plus de zèle que de savoir, les méprisent malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu’ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les chrétiens les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions succédant du pour au contre, selon qu’on a de lumière. » (Pensées., éd. Havet, art.  V, 2.)

Appliquez cette méthode en philosophie, et beaucoup de difficultés s’éclairciront. L’on verra que ce que l’on appelle « des controverses stériles », suivant l’expression banale consacrée, ce ne sont que les différents points de vue superposés les uns aux autres, et dont chacun est vrai à son étage et à sa place. Par exemple on peut dire, dans un ordre de gradation analogue à celui de Pascal : « L’instinct et le sens commun nous forcent à croire à l’existence des corps : donc il y a un monde extérieur. — Oui, mais nous ne connaissons les corps que par nos sensations qui sont subjectives : donc il n’y a pas de monde extérieur. — Oui, mais ces sensations subjectives ont une cause objective : donc il y a un monde extérieur. — Oui, mais cette cause objective n’est peut-être que notre moi objectivant ses imaginations ; donc il n’y a pas de monde extérieur. — Oui, mais ce moi qui s’oppose à lui-même sans en avoir conscience n’est pas un moi, c’est un non-moi : donc il y a un monde extérieur. » Jusqu’où se continuera ce dialogue ? Jusqu’à ce qu’on ne puisse plus aller plus loin. La dernière proposition à laquelle on arrive est la vérité limite, jusqu’à ce qu’un degré de profondeur de plus ait révélé un