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nouveau point de vue, ou jusqu’à ce que le problème posé aille se perdre dans un autre problème : c’est ce qui arrive ici où le problème de l’extériorité va se perdre dans le problème de l’unité de substance. De ces considérations sortira une nouvelle définition de la philosophie. La philosophie est la science des vérités relatives, des approximations successives de la vérité finale.

Cette définition paraîtra sans doute bien modeste. La voilà donc, dira-t-on, cette science hautaine qui s’appelait la reine des sciences, la science des premiers principes et des premières causes, la science de l’absolu, de l’être en tant qu’être, la voilà réduite à n’être plus que la science du relatif. Ceux qui nous feraient cette objection ne comprendraient pas bien la recherche à laquelle nous nous livrons en ce moment. Nous ne renions, en ce qui nous concerne, et nous revendiquerons hautement plus tard, dans la suite de ces études, les prétentions, les ambitions, les droits de la philosophie première. Mais nous ne parlons pas ici au nom d’une école et d’une doctrine particulière ; nous recherchons seulement quel est le minimum que l’on ne peut refuser à la philosophie, quelle que soit d’ailleurs l’école philosophique à laquelle on appartient. Or ce minimum, tel que nous l’avons défini jusqu’à présent, suffit pour faire passer la philosophie tout entière. C’est dans l’intérieur de la science elle-même qu’aura lieu le débat sur la portée de la science ; nous ne combattons ici que pour son existence. Qu’elle soit seulement, et tout y passera.

Même cette notion d’absolu que la définition précédente paraissait sacrifier n’est pas si complètement exilée que l’on croit d’une science du relatif. Car le relatif sans absolu devient lui-même l’absolu. Si, en effet, il n’existe rien autre chose qu’une série phénoménale sans commencement ni fin, cette série étant tout, et ne dépendant de rien autre chose que d’elle-même, est par là même quelque chose d’absolu. Car l’absolu est ce qui ne dépend que de soi, ce qui n’a aucune condition d’existence autre que son existence même : c’est le τὸ ἰκανὸν, τὸ ἀνυπόθετον de Platon. Dans l’hypothèse du relatif, l’absolu subsisterait encore à titre de totalité phénoménale ; car Kant a admirablement démontré que l’absolu s’impose à nous sous deux formes, soit comme terme premier, indépendant de toute série, soit comme totalité. On n’échappe à l’un de ces termes qu’en se réfugiant dans l’autre ; et si l’on veut les écarter tous deux à titre d’antinomies insolubles, encore faut-il les comparer l’un à l’autre ; et par là même encore on pose la question de l’absolu.

L’absolu peut encore rentrer dans la philosophie du relatif à titre de limite idéale de la série. Imaginons l’hypothèse de l’évolution, où chaque phénomène sort du précédent par un développement inté-