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JANET.introduction a la science philosophique

rieur, où le présent, selon l’expression de Leibnitz, est gros de l’avenir et issu du passé, où la série se développe sans cesse du moins au plus, ne conçoit-on pas que le point de départ idéal de cette série croissante et décroissante doit être zéro, et que le point d’arrivée doit être l’infini, tel que l’entendent les métaphysiciens ? Que ce soient là des notions idéales, cela se peut ; maïs ces notions sont inséparables de notre esprit, et qui seules rendent intelligible l’idée de série.

Disons encore que l’absolu peut avoir sa place dans la philosophie du relatif ou à côté, à titre d’inconnaissable. C’est ce nom que lui donne le plus grand philosophe du relatif de notre temps, à savoir Herbert Spencer. Pour lui, ce qu’il appelle inconnaissable, c’est l’absolu. C’est lui, et non pas nous, qui écrit : « Tous les raisonnements par lesquels on démontre la relativité de la connaissance supposent distinctement quelque chose au delà du relatif. Dire que nous ne pouvons connaitre l’absolu, c’est affirmer implicitement qu’il y a un absolu. » C’est le même philosophe qui soutient contre le philosophe Hamilton que la notion d’absolu n’est pas négative, mais positive : « Si le non-relatif ou l’absolu, dit-il, n’est présent à la pensée qu’à titre de négation pure, la relation entre lui et le relatif devient inintelligible, parce que l’un des deux termes manquerait dans la conscience. » Et il montre en outre ce qu’il y a de positif dans cette conception : « Notre notion du limité, dit-il, se compose premièrement d’une certaine espèce d’être et secondement d’une conception de limites. Dans son antithèse (l’illimité), la conception des limites est abolie, mais non pas celle de l’être. » Cette notion est indestructible ; elle est la substance même de la pensée ; et par conséquent, « puisque la seule mesure de la validité de nos croyances est la résistance que nous faisons aux efforts faits pour les changer, il en résulte que celle qui persiste dans tous les temps parmi toutes les circonstances est par là même celle qui a le plus de valeur ». Le même philosophe, tout en professant que l’absolu est inconnaissable en lui-même, reconnaît cependant que nous le connaissons au moins par ses manifestations et il dit que « la seule chose permanente est la réalité inconnaissable cachée sous toutes ses apparences changeantes ». Enfin, même dans le positivisme proprement dit, nous voyons encore l’absolu rentrer sous le nom d’immensité : « L’immensité tant matérielle qu’intellectuelle, dit Littré, tient par un lien étroit à nos connaissances et devient par cette alliance une idée positive du même ordre ; je veux dire qu’en les touchant et en les bordant, cette immensité apparaît sous son double caractère, la réalité et l’inaccessibilité. C’est un océan qui vient battre notre rive et